Brigitte Fontaine › Je ne connais pas cet homme

La dernière fois qu'on avait vu Brigitte Fontaine, celle-ci avait quitté la scène après seulement un quart d'heure de représentation, sur un simple coup de tête, comme souvent chez cette artiste impulsive. Une valise sous le bras, elle enfourcha une moto avant de mettre les gaz devant le regard d'un public médusé. Il n'en fallait pas plus pour isoler davantage une Brigitte Fontaine qui faisait déjà figure d'animal indomptable au sein de la scène francophone. Si on se pressait aux portillons pour la visiter, c'était moins la poétesse que la bête curieuse que le public voulait rencontrer ; prise en quelque sorte à son propre jeu, Fontaine n'avait plus d'autres choix que d'assumer jusqu'au bout ses choix sous peine de se décrédibiliser complètement. Assumant parfaitement ses excentricités, la marginalisation convient finalement très bien à Fontaine. Avec son fidèle Areski, à l'abri des regards indiscrets, ils vont entamer à partir de ce moment leur partie de carrière la plus intéressante, extrapolant les différentes pistes qui avaient été explorées sur leur précédents essais. Si Areski signe désormais la grande majorité des musiques, avec ses guitares orientales cousues mains, ses percussions tribales et ses flûtes charmeuses de serpent, il monte aussi plus souvent au créneau, partageant, voire remplaçant très souvent Brigitte Fontaine au chant. Ainsi, "J'ai 26 Ans, Madame" est la réponse masculine au même titre qui figurait sur "Comme à la Radio". Hélas non crédité, un ensemble de violons acerbes rend l'atmosphère de certains titres particulièrement lourde ("La Recherche de l'Hiver", "La Renarde et le Bélier Touffu"), lorgnant très clairement vers la musique de chambre contemporaine. Il en va de même pour les superbes parties de saxophone alto qui illuminent la plage titre ou encore "Comment ça va", au ténor. "Le Morvien" mêle lui carrément les deux et, en l'absence de paroles, s'érige en tant que pièce free jazz tout à fait remarquable, en souvenir des audaces de l'Art Ensemble. Faisant presque office de compensation, un titre comme "C'est Normal" où Areski explique très calmement à Brigitte Fontaine que l'incendie de l'immeuble dans lequel ils vivent a provoqué l'effondrement de celui-ci et qu'ils sont sur le point de percuter violemment le sol, nous arrache un sourire amusé. Si se familiariser à "Je ne connais pas cet homme" paraît de prime abord plus difficile, son écoute sur le long terme s'avère être en réalité très gratifiante.