Le diable s’approcha du jeune dadais et lui murmura à l’oreille: ‘Sympa, hein, cette guitare que tu as reçue pour ton anniversaire il y a six mois ? Tu te souviens de ce pique-nique avec tes potes (il y avait des filles aussi ) où tu l’avais prise ? Grâce à elle tu as eu tes cinq minutes de gloire quand tu as massacré cette chanson à l’aide des deux accords et demis que tu maîtrises; il y a même une fille qui t’a souri. Le problème est que, des mois après, tu ne connais toujours que ces mêmes deux accords et demis, l’enchaînement avec le troisième demeurant toujours problématique. C’est pas comme ça que ta popularité va grimper. Certes de nos jours, les filles (les garçons aussi d’ailleurs) n’écoutent plus de musique, elles lisent des manga, s’inventent des drames fadasses sur TikTok, passent des heures au bout du fil à brasser du vent, répètent des chorégraphies vues sur le net, pour se persuader que leur petite existence merdique a de la consistance. Tu peux pas lutter mais qui sait ? Si t’étais capable d’amener quelques morceaux, ce serait déjà un début. Bonne nouvelle, Chris Connelly va t’apprendre comment composer un album entier avec pas plus de deux ou trois accords par morceaux. Le rythme ? Tu t’en fous, pas besoin. Tiens, écoute ‘ A distant black spring’, plus d’une minute à gratter le même accord, même pas en continu. Ok, sur ‘Union canal bues’, il y a en au moins trois mais c’est épuré, tu les plaques pour l’effet dramatique. Oui, je sais tu te dis que ce Chris Connelly n’est pas un très bon musicien, ses cordes sonnent désaccordées, on dirait qu’il chante un peu n’importe comment sans trop se soucier de mélodies. T’as vu comment il berne son monde sur ‘Seven days, seven lies, seven lovers’ ? On a l’impression qu’il joue ses accords de manière complètement aléatoire sans suivre de réelle structure. Sur ‘Art & gender’, il tape sur sa caisse de résonance, ça donne un effet cool et écoute sur ‘Old hymn of new intent’, c’est une technique identique mais au piano. Tu vois qu’on fait des merveilles avec un seul accord, plus quelques autres complètement à la ramasse pour donner du corps. Alors tu t’y mets à cet album ? Aah ah ah ah, t’es vraiment trop con, tu as cru à mon baratin ? Tu oublies une chose fondamentale, Chris, il a une voix comme celle de David Bowie et même s’il s’en sert de manière parfois étrange, comme s’il ne maitrisait rien, il n’a pas besoin de beaucoup plus pour l’habiller. Oui, ces accords sonnent parfois déglingués mais tu appendras que c’est une question d’accordage et que s’il opte pour du non confortable, ça ne signifie en rien que c’est faux ou improvisé. Et puis, il a ces effets de chant, cet harmonica fantomatique (‘Stampede weather’), ces éléments qu’on nomme ‘arrangements’. Pondre un disque aussi épuré et étrange, ça requiert justement un talent immense, celui que tu n’auras jamais, petite merdeux.‘ Une belle journée pour le diable qui s’était bien amusé tout en préservant le monde des exploits d’un ex-futur-apprenti-chanteur, un de ces incapables à saisir le concept de 'David Bowie plays Current 93'...