La grande qualité de ces éditions-compilations est aussi son plus grand défaut : foutraque, chronologique, hors contexte. Ces pièces pour « clavier » - terme qui permet ici de réunir une pratique en solo derrière un clavier, qu'il soit orgue, clavecin, piano, etc... - on peut dire que j'aurais mis un certains temps à les apprivoiser. Peut être parce que les premières pièces, plus formelles, plus classiques (bien que possédant en elles le gêne malfaisant des œuvres cauchemardesques de Ligeti), ne sont pas inoubliables. C'est même assez surprenant pour celui qui, comme moi, a découvert Ligeti avec son Requiem, son Grand Macabre ou ses Aventures, et de le retrouver dans un registre sautillant, ça ferait presque aussi peur ! Danses de mariages, allons bon ! Même si elles présentent toutes un intérêt, ce qui nous intéresse ici, c'est bien évidemment ces pièces des années 70, les trois pièces pour deux pianos, syncopées comme une mauvaise bagarre, mais surtout, surtout, ces pièces complètement dingue au clavecin. Si vous pensiez que le clavecin était un instrument un peu ringard, écoutez Continuum, et dites moi si vous n'avez pas envie de mourir dans les souffrances les plus horribles de l'histoire connue ? Hungarian Rock, qui le précède, est une pièce qui rappelle une bonne partie du rock progressif des mêmes années, dans une version nettement plus autiste et psychédélique : essayez de vous figurer, je sais pas, Present, joué par un type à jabot ? Effrayant, hein ? Les pièces pour orgues, exceptionnelles mais finalement plus conventionnelles – car c'est, entre guillemets, plus facile de sonner cauchemar et folie furieuse avec un orgue- culminent avec ce Volumina... volumineux (ha!), épais et massif qui n'est pas sans rappeler le Requiem, d'ailleurs, un Requiem joué par une armée de bouffons à clochettes en pleine décompensation. J'hésite même à utiliser le terme de folie, tellement ça dépasse la conception qu'on peut avoir de l'oppression sonore. La soufflerie se fait s'envoler les murs de l'église, et la peau des fidèles réduit en poussière. En faire un cousin de la power electronics ne serait pas abusé, je pense, avec son petit côté n'importe quoi efficace ; si son frère Gmeeoorh (nettement plus tempéré) de Xenakis est d'accord.