La descente aux enfers. C'est comme ça que ça s'annonçait, en tout cas. Je déteste le clavecin, d'une haine viscérale. L'idée de m'envoyer une heure de « ça », c'était pas possible. Le son de cette « chose » me rappelle les heures les plus noires de mes cours de flûte à bec du collège, sans parler de ces mauvais films reconstitutifs d'une période qui me donne des boutons : le 18e siècle. Je repense aussitôt au sketch des inconnus, et me colle une paire de doigts au fond de la gorge. Mais y'avait ce nom, là, Pancrace, un nom à se battre. Ca valait le coup de monter sur le ring, voir ce que le type avait dans le ventre. On ne s'est même pas affronté ; rien, pas une beigne. Quand j'ai vu sa dégaine, son regard noir et assoiffé de sang, j'ai vu qu'on jouait pas dans la même catégorie. Le type revenait de loin. Du fond. Du tréfond. Ces pièces pour clavecins en sont le témoignage. Moi qui pensais que j'allais souffrir, j'étais loin du compte ; et pas pour les bonnes raisons. Parce qu'au fil des morceaux qui se déroulent comme une cérémonie, petits à petits les choses se fissurent, les notes ne sont pas là où elles devraient être, les verres commencent à tomber, les gens à paniquer. En fait, le type qui joue du clavecin, c'est lui Pancrace. Il commence à s'agiter, il tient plus trop sur sa chaise, parce que là il joue debout. Il transpire beaucoup, il rigole tout seul, et ne regarde personne. Il joue, bizarrement, étrangement, rapidement, il balance des notes ici, là, là bas, il en rajoute, en retire, accélère, toujours plus vite ; putain c'est le robot de Nancarrow ou quoi ce mec ? Son journal intime, c'est ça, des pièces pour clavecin. C'est le Horla, un Horla grotesque, en chemise à jabot, collerette, bouclettes blanche et maquillage. Quand il revient, ses yeux sont plus gros que mes poings. « Le clavecin est fureur, virulence, teigne. Il n'a pas des cordes, mais des nerfs, et ce ne sont pas des marteaux qui les excitent (les marteaux assomment), mais des sautereaux. Presque un nom d'insecte, chitine et dard, méchantes mandibules et élytres stridulantes. Tels que décrits dans l'Apocalypse, les sautereaux, autrefois, ravageaient les récoltes, hachaient menu le blé jeune et creusaient leurs nids dans les tubercules, jusqu'à ce qu'un luthier de génie trouve le moyen de les emprisonner dans des clavecins. Le clavecin a sauvé l'Europe de la famine. Le clavecin pourrait encore la sauver. Qui, à Bruxelles, est prêt à le reconnaître ? Tous ces gens écoutent de l'électropop british, je parie ». Nuff said, Jérôme Noirez.