Avec Hanky Panky, Matt Johnson se lance dans un album de reprises. Des reprises d’une légende de la culture américaine : Hank Williams premier du nom, le père des pères du honky tonk, artiste country maudit, mort prématurément, à l’âge de 29 ans, au terme d’une effroyable descente aux enfers. Le leader de The The, accompagné d’instrumentations sommaires (un peu de piano, de l’orgue, un peu de guitare électrique), parvient à extraire quelque chose de personnel de ces standards entrés dans la tradition, il fait sonner chaque titre de Williams comme du The The pur jus, à tel point qu’on croirait souvent qu’il a lui-même écrit les chansons. Possédé par son rôle, on le sent par instants – dans l’intonation de voix - à la limite de cette transe mystique dans laquelle il s’est plongé sur Mind Bomb et Dusk, cette espèce de lyrisme exacerbé qui suinte de partout, surtout lorsqu’il prend ses airs de crooner illuminé (écoutez moi un peu ce « Honky Tonkin' », miam !). Néanmoins, l’artiste ne déborde pas non plus dans un délire, il reste audacieux tout en concentrant son énergie dans ce que les classiques peuvent dégager d’émotion, essayant de faire ressortir une sensation nouvelle des morceaux originels, dont le potentiel est énorme – et il le sait. Le travail de ‘restauration’ fonctionne ma foi fort bien. Des titres comme “I Can’t Get You Off Of My Mind” ou “I’m A Long Gone Daddy” dégagent un feeling rock bluesy irrésisitible. D’autres morceaux bien cheaps, plein de ce pathos délicieusement ramolli, comme “If You’ll Be A Baby To Me”, touchent au coeur. La reprise de “Your Cheatin’ Heart”, un des meilleurs textes écrits par Williams, façon piano bar possédé, “I Saw The Light”, typé Creedence Clearwater Revival, ou le long gospel country teinté de tragédie “I Can’t Escape From You” constituent les moments forts du disque, bien qu’aucun titre ne se détache vraiment, la cohérence du ‘remake’ jouant aussi en sa faveur. N’empêche qu’un petit moment de solitude comme “There’s A Tear In My Beer” vaut son pesant de patience. On s’y replongera comme dans un livre intime… Ce disque se donne entier, même si la simplicité du résultat ne cache pas l’esprit complexe de cet artiste singulier, qui aime brouiller les pistes, dérouter. Quoiqu’il en soit, Johnson s’est plongé dans son rôle avec brio, revisitant l’une des plus grandes légendes du country américain… Hanky Panky est porteur d’émotions sincères, et c’est le bien principal. Le disque ronronne tranquillement, soufflant sur nous le parfum lointain des vieux standards country, et le sourire de la mort clignote par brefs instants, entre les volutes de poussière, laissant un frisson de plaisir parcourir notre échine. Comme tous les disques de The The depuis Infected, Hanky Panky cache des frayeurs secrètes derrière son côté innocent, des frayeurs qui cette fois-ci ne sont pas seulement inhérentes à Matt Johnson, mais à l’artiste qu’il a choisi de reprendre. Un disque-hommage passionnant qui pourra avec un peu de chance pousser certains d’entre vous à découvrir les chansons de Williams, ce bonhomme au parcours tragique qui a contribué sans le savoir à faire des musiques country, rock et pop ce qu’elles sont aujourd’hui.