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Avatar Studio, NYC par Jim Anderson. Produit par Susie Ibarra. Producteur Executif : John Zorn.
Charles Burnham (violon), Susie Ibarra (batterie, percussion, kulintang), John Lindberg (contrebasse), Pauline Oliveros (1932-2016) (accordéon), Wadada Leo Smith (trompette, balais), Chris Speed (clarinette), Cooper Moore (piano, flûte), Assif Tsahar (clarinette basse)
Fin de siècle, début de millénaire. Le jazz a depuis longtemps laminé le tempo ; le free l’a explosé ; Schoenberg et l’école de Vienne, puis d'autres Sériels, ont nié, détruit la métrique ; le monde a pénétré l’occident, répandu partout ses comptes asymétriques ; partout aussi les machines clouent le beat ; depuis un moment, déjà, des circuits imprimés bourdonnent sans mesure. Alors qu’est-ce qu’il reste du Rythme ? Qu’est-ce qu’on peut en faire ? Comment peut-on encore en faire ? Ces questions-là, les musiciens ici présents ne les posent pas : ils préfèrent les pratiquer. La réponse (libre et provisoire) qu’ils proposent en l’espèce de cette suite – huit plages alternant mouvements d’ensemble en effectif variable et courts passages solistes (les Fractals) - s’appelle vitesse. Ou plutôt vitesses. Non pas la constante précipitation, la double-pédale, la frénésie sans pause. Non : la vitesse comme écoulement plutôt que pulsation. Question de débit, d’intensités. De différentiel et de glissements. La vitesse comme usage et perception du temps. Ce que cette musique puise dans le passé, les écoles, divers courants et traditions, ce sont moins des timbres, des arrangements, des modes ou des gammes que de telles perceptions. Des topographies qui sont des espaces-temps. Des affects plus que des sentiments. The Ancients, par exemple, déploie cette lenteur tendue, parcourue de trajectoires sinueuses, propre à certaines traditions extrême-orientales : gagaku japonais, chinois ou coréen, mais surtout gamelan javanais ; aucun emprunt direct pourtant, aucune citation ; ni exotisme ni fusion ; ce qui dans cette pièce est un Ailleurs, une Asie du Sud Est, c’est moins la présence finalement anecdotique du kulintang (xylophone Philippin) qu’une étale alacrité, un état de méditation vivide. Human Beginings est d’abord un mouvement de houle, ample, puissant, qui soudain s’emballe en danse de noce, une espèce de gigue extraordinairement entraînante, scandée par une clavé pourtant étrangement décalée et des claquements de mains impeccables. Le tout se transmute en une folie afro-klezmer perturbée par les cymbales cisaillantes de Susie et par ses peaux tout en syncopes polyrythmiques (ce n’est pas en vain qu’elle a étudié avec Milford Graves, ce maître singulier) ; puis en souffles mêlés qui s’apaisent (la trompette de Wadada Smith et l’accordéon deep listening de Pauline Oliveros) ; enfin tout se résout (très momentanément) en un swing d'Asie Mineure aux rudes accents mingusiens. Et juste après, la tempête rythmique du Fractal 4 (Ibarra seule derrière son kit). On pourrait scruter ainsi toute l’œuvre : jamais on n’a l’impression d’un collage, d’éléments décoratifs plaqués sur une structure jazz ou contemporaine. Aucun cliché d’Orient, benjoin ou arabesques, aucun tic d’improvisation. Chaque partie reste ouverte et indépendante, unique mais cohérente avec ce qui l’entoure. L’unité de cette musique (et sa brillante réussite) vient de ce qu’elle sécrète son temps propre et nous les transmet. Elle n’use pas du rythme : elle est son propre rythme. Et on le suit, sans jamais marcher au pas. On danse sans avoir à compter. On veut voir où il nous entraîne. On aime sa vitesse parce qu’elle est mystère.
note Publiée le mardi 1 juillet 2008
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Je fais souvent l'impasse sur le premier morceau, "Illumination". Je vais être un peu cruel avec lui mais, je ne trouve pas Wadada très seyant ici, un peu "barbant" même, si j'ose dire... Sinon oui, disque très sensible, très "naturel" dans le sens ou elle ne semble jamais très loin ici, la "mère" nature (EDIT: elle est "membre" à part entière finalement). Elle transparait dans cet écoulement, dans ces quelques "susurrations", dans cette chaleur, ce feu qui enveloppe, qui nimbe, puis dans cet aspect plus terrien et rythmé de "Human Beginnings"... (Par ailleurs, j'avais complètement oublié que Pauline Oliveros figurait sur ce disque...)