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Susie Ibarra › Folkloriko

  • 2004 • Tzadik TZ 7098 • 1 CD

cd • 10 titres • 40:14 min

  • 1Anitos9:49
  • Lakbay
  • 2gagwain ng pamilya I2:34
  • 3umaga4:29
  • 4merienda4:17
  • 5awit sa trabaho6:38
  • 6ang sayaw4:13
  • 7palengke4:23
  • 8paniniwala2:55
  • 9gawaing ng pamilya II5:02
  • 10lullaby2:54

informations

Kampo tudios, NYC, 2004 par Andy Taub. Produit par Susie Ibarra. Producteur Executif : John Zorn.

line up

Jennifer Choi (violon), Susie Ibarra (batterie, kulintang de bois, cymbales tibétaines, jun juns), Wadada Leo Smith (trompette sur 3, 6, 8), Craig Taborn (piano)

Musiciens additionnels : Roberto Rodriguez (sur 1 : cajon basse, cajongas, cajon la peru, cloches)

chronique

Une ronde en ouverture, une danse, une sarabande ; quelque chose qui gravite autours d’un point très fixe, invisible, indéniable, fiché ferme et profond : pivot, pilier ou mât du monde… Frappée des paumes, des doigts, sur des peaux aux tensions exactes, à divers points de l’ambitus ; et le chant des mailloches, en guirlandes, en friselis, notes brèves et courses longues sur des touches d’un bois dur. C’est un salut, c’est une offrande, une tentative d’invoquer : Anitos… Les esprits, les ancêtres ; les Vivants et les Morts ; plantes, animaux, humains. Un essai transplanté : racines replantées, autrement intriquées ; apprises ici, inventées-là. Et réponse il y a bien, à cet appel profane ! Dans les voix des cymbales, harmoniques ténues -presque subliminales- qui s’élèvent en buées lors que se leste le battement et s’alanguit le balancier. Ce sont, qui passent au plan des rêves, les essences et les faunes de l’archipel aux sept-mille-et-cent-sept îles (ces très lointaines Philippines d’où s’exilèrent les parents d’une Susie née aux Amériques). Lauans, Molaves, Teks, Pins, Narra ; fougères et orchidées ; innombrables amphibiens, et varans, et roussettes ; Bondrées, Calaos, Bulbuls ou bien frelons Vespas. Et puis dans les maisons, ces familiers discrets qui chapardent aux tables lorsqu’on tourne le dos… Mais soudain l’on s’éveille dans une ville plus froide, sise aux confins d’une autre côte. Lakbay est une fresque : une épopée de vingt-quatre heures, en trente-sept minutes et vingt-cinq secondes. Un jour dans la vie -Défaite ? Refaite ? Forcément dé-placée...- d'un travailleur en terre d'asile. Une vaste suite en enfilade, en tourbillons : les moments qui se chassent, les heures qui s’enchaînent, s’imbriquent ou bien se figent, se dilatent et se serrent. Le stress et les lourdes fatigues ; contemplations, méditations -narcoleptiques, presque- quand pour un instant se relâchent devoirs, exigences, nécessités. L’errance de la pensée, tout ce qu’elle échafaude autours d’un seul détail. L’implicite concentration des gestes mille fois répétés. Les jeux et les ballets, les entrelacs et les rebonds des mots échangés : conviviaux, mondains, fonctionnels. Cette fois encore, Susie préserve le mystère. Du sexe du sujet, de son âge, de ses poste et postures, on ne saura rien. Serveur, servante, employé de boutique, basse besogne hôtelière, routines d’un quelconque commerce, manœuvre agricole… Rien n’est dévoilé, non-plus, des épisodes qui se succèdent du lever au coucher, des déroulements et incidents, contrariétés ou satisfactions durant le temps de ce labeur. Il n’est même pas dit que la traduction des titres -tous transcrits ici de la langue tagalog- nous en apprendrait plus au point de l’anecdote. Pourtant… Pourtant, comme toujours chez Ibarra, on sent avec précision le poids variant de chaque instant, les densités de l’air, l’extrême élasticité du moindre fragment de mesure, qui s’étale ou se contracte à l’aune changeante de ce qui se conte. L’allègement à tel mouvement, la gravité qui nous saisit à telle séquence sourde. Ce sont nos corps, nos organismes avec notre attention, qui se pressent et se relâchent à mesure qu’avancent les pièces et nous happe le Tout de la composition. Plus que jamais, cette musique se joue des genres, des répertoires arrêtés, des formes mises en coupes... Des valses y tournoient, des emballements jazz la griffent, la propulsent, la perforent ; des embardées hors-cadre la libèrent des écoles closes d'avant-gardes. Les matériaux se fondent, glissent ou s’amalgament en strates, intervertissent leurs natures, leur emploi. Une foule de voix devient rythme, Portant, nappe fluide où roulent les instruments qui conversent par éclats, s’interpellent par bribes (Merienda). Les danses simples, campagnardes, folkloriques (oui…), apportées de villages qui entre eux s'ignoraient, se parent d’autres teintes, d’autres fragrances immigrées, au point qu’on ne distingue plus, bientôt, le Hunan du Kilkenny, Brooklyn de Mindanao. Puis elles s’élèvent, ces ritournelles, se nouent en faisceaux, en constructions aux proportions fortes et gracieuses, fines et puissantes ; elles rayonnent et explosent, irradient, insécables et parcourus d’échos qui se pourchassent et se répondent (la ligature fantastique Awit Sa Trabaho-Ang Sayaw). En tout cela le violon de Choi et le piano de Taborn font vivre la musique avec une rigueur d’exécution et une liberté de jeu, une imagination et une précision hors-classe, se passant l’un-l’autre, les permutant, allant tout musculaire et abstractions gazeuses, motifs évidents et dérivées complexes, plages impressionnistes à la chaleur des chairs... Notes en gouttelettes vaporisées et harmonies en concrétions. La trompette de Leo Smith, par incursions, strie l’espace de filets incandescents, le tapisse de feutrine, y projette des giclées acides et brûlantes qui retombent en coulées douces. Et Susie elle-même qui -hors ses silences nécessaires- lance et tient les cadences, brise les tempi et les bascule. Centrifuge, magnétique, explosive, les emballe, les insuffle. Fait passer dans son set les gongs et les chœurs, sans rien en dupliquer, des arts exigeants d’une certaine Asie. Infuse à toute l’œuvre ces climats et chromatismes, ces toponymies et chronographies qui -libérés du souci de toute hybridation comme de celui de l’ostensible nouveauté- sont endémiquement, moléculairement siens. La journée se referme. La parenthèse, semblable au premier mouvement de la suite mais enrichie maintenant, hantée de reflets et de réminiscences qui, alors, n’y existaient pas. Et puis encore, un épilogue. Une berceuse, ainsi titrée, en anglais : Lullaby. Elle va, s’apaisant en même temps qu’elle se fait ample. Ce sommeil-là, sûrement, sera encore peuplé d’esprits. D'ancêtres, descendants ou parfaits étrangers. À cette seconde, fugace, où le monde s’évapore, on oublie sur quelles terres on ouvrira demain les yeux.

note       Publiée le vendredi 11 juin 2010

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Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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12 ans et 5 mois jour pour jour plus tard, je réponds à Eliphas : eh ben de rien ! Et là, une drache glacée tombant sans arrêt dehors, il passe tout aussi bien qu'en plein soleil, j'ajoute, ce Susie et ses ami.e.s.

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cyprine Envoyez un message privé àcyprine

remballe ta quincaillerie susie !

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Eliphas Envoyez un message privé àEliphas

Merci pour cette découverte, convient parfaitement à cette période estivale caniculaire, c'est les vacances

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Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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@BoucledelaLune : "Godamn ! Tu m'as percé à jour !". Amours toutes musicales -bien entendu-, y compris avec la Su' et la Jenny. (Même si bon, oui, en effet...).

(Quant à la barbe de Wadada, je préfère m'abstenir de tout commentaire).

@Dav' : Eh ben.. Réciproquement, je sais pas ! Vu que je n'ai pas écouté ce HIM-là (ni même son homologue Nordique et, euh... Emo. Ou alors rarement plus de trente secondes, disons...). Mais effectivement à lire ta chro -et vue la recommandation vers The Gift (que j'aime beaucoup d'ailleurs)- il y a de fortes chances pour que les musiques qui se jouent sur les deux disques n'aient vraiment pas grand-chose à voir.

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dariev stands Envoyez un message privé àdariev stands
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ta chro me fait penser à ça http://www.gutsofdarkness.com/god/objet.php?objet=13200 , même si je sais que ça ressemble pas du tout (rien qu'à l'instrumentation)...