Voici, à ma connaissance du moins, la seule pochette ayant passé avec succès le test du Saint-Suaire de Turing. Après ces kyrielles de pochettes provoc foireuses, la machine metal satanique a de façon prévisible dégénéré en pur conformisme... Adoucissons. Usons de codes-barres. L'an 2000 a sonné : risque d'apocalypse. Ayons plus de respect que ces femelles qui se carrent un crucifix dans le céans, je vous prie. Ce Jésus craspec mangé par les ténèbres, pochette la plus représentative de ce nom de groupe lui-même peut représentatif de leur son, mène pudiquement à l'ambiance de Khronos... À ce mélange à la fois académique, sirupeux, conquérant, d'un Rotting Christ supra-rodé, arrivé à sa pleine maturation gothique. Cette fois costumé par Tägtgren, garant d'un gain de puissance qui transforme leur Triarchy en blitzkrieg, au son hollywoodien mais tranchant. Les guitares scintillent et ruissellent, gémissent, agressent avec délicatesse. Santos est incantatoire, altier, sa glaire est aristocrate. La basse est chantournée dans l'alcôve (le morceau-titre, succulent). Et enfin, glaçage : Rotting Christ est oint par ces synthétiseurs vieille école, dont ils ne veulent pas se défaire et qui font part de leur charme, comme chez leurs potes de Moonspell. Khronos est fondu dans cette ambiance de chapelle infestée, à la Painkiller (le jeu), porté par des rythmiques peu parables, qui accrochent l'auditeur tel le Saint-Tissu agrippé par les doigts griffus du Malin (image inspirée par une ballade en forêt et un passage en force dans les ronces), happé par la tragédie grec-frites, soulevé par ce souffle impie aux échos galvanisants. Fieffés bouffeurs de feta ! Ils ont réussi là où tant d'autres ont échoué : une fusion black mélo-goth qui emballe, avec ce black-metal toujours enrobé de claviers "fraîcheur chlorophylle" ou de touches "chant de moines en toc à la Era" (aaah "Time Stands Still"), porté par les rythmiques des frères Tolis. Que dire de ces tempi exquisément hachés-saccadés ? Les coups sont super bien cadencés, vous pourrez faire vos séries d'abdos ou de headbang sur certains titres. Le heavy-black mélodique et un peu sympho aux entournures de Rotting Christ a même par moments un effet... R'n'B. Je vois pas d'autre mot. Tiens, sur "If It Ends Tomorrow" il arrivent même à y fondre un bout de refrain autotuné, et ça passe crème ! J'écoute encore avec un rictus de satisfaction "My Sacred Path" et "Fateless". Raaaah, "Fateless" ! Ces syllabes impulsives, sectionnées en bouts bien nets... C'est elle que j'ai fait tourner sans m'en lasser, à l'époque, dans ce sampler Hard'n'Heavy. Parce que oui, je vous ai pas dit : j'ai découvert Rotting Christ avec "Fateless". Et je peux vous dire que, dans le périmètre de mes écouteurs de baladeur en tout cas, ce titre était le tube de 2000, autant que "The Real Slim Shady". Et le pire ? C'est que lui comme cet album ont passé le cap des années sans dégâts. Khronos coule en noir nectar nacré, dégouline en beauté comme leur splendide reprise de Current 93... Et moi qui pensais qu'il serait rigolo à la réécoute, le Khronos... J'ai eu tort : cet album se déguste. Et pas malgré les synthés bon marché, mais grâce à eux aussi. L'envoûtement est donc à peu près intact dans ma chambre d'adulescent confit, qui baisse sa capuche pendant l'écoute, tandis que le bal masqué bat son plein. Et regarde ce curieux Nazaréen, voué à en prendre plein la gueule.