Fushitsusha › 1st

Black is the new black! Une bonne dizaine d'années de gestation auront été nécessaires à Keiji Haino pour accoucher de ce premier kraken électrique sous l'égide d’un astre noir, puisant sa force tentaculaire dans le blues originel, les larsens de Mizutani et l’heavy psych de Vincebus Eurptum. Présenté sous forme de bloc massif et mystérieux, le double live de 1989 annonce l’arrivée d’une révolution avec une emphase toute kubrickienne. "Voici, je vous enseigne l’alter-humain" : un colosse qui ballotte les ondes et soulève une lame de fond, alors que d’immenses vagues viennent se briser contre les rochers abrupts de notre conscience. Un lent riff confirme l’avènement du colosse protéiforme, broyant les pierres escarpées, grimpant la falaise, titubant lourdement vers notre milieu terrestre. Il ressemble à un gigantesque insecte peinant à se déplacer sous son propre poids. En charmeur de serpents, Haino attire l’hydre avec son harmonica. Yasushi Ozawa, le front clair, fait vriller sa basse à chaque pas de la bête. Sur cette lente procession de rock bancal, la voix du chamane se fait parfois plaintive, mais clame souvent haut et fort la prépotence d’une entité autre sur un continuum d’assauts de guitare atonale. La structure rythmique existe : elle est branlante et ne marque plus vraiment de tempo. Fushitsusha apparaît comme un monstre de laideur, un King du Kong capable de miracles soniques. Une charge de C4 détonne, et dans le souffle de l’explosion tonitruante, le groupe parvient à raccorder le chaos en suspension autour d’une même énergie, en harmonie Wa avec les forces fragmentaires de l’infini. C'est l’affirmation d’un style tout en puissance tumultueuse, nourricier de ses cousins Kousokuya, High Rise, Mainliner, Up-Tight. Sur cet enregistrement, Fushitsusha n'abstrait pas encore les formes et conserve une énergie presque binaire : Rolling Stone Japan ne s'y est d'ailleurs pas trompé en plaçant 1st dans son top 50 des plus grands disques de rock nippon.