Ca y est, ils ont réussi ! Tout ce temps on a eu peur qu’ils s’en approchent sans l’atteindre, mais le voila enfin... Après mouts essais, des albums certes géniaux mais à la trajectoire serpentiforme qui devaient finalement servir d’esquisses et de rodages en tout genre, ils maitrisent maintenant à la perfection cet art difficile de marier la bizarrerie informe qui les caractérise depuis leur genèse à la beauté d’une écriture dont ils rêvaient depuis toujours. Et cette créature hybride tient plus du cadeau de la nature que du monstre de foire. Bien sur, les minutes incongrues sont toujours présentes, mais se faufilent avec grâce au milieu des chansons du disque. Par rapport à 'Strangers From the Universe', le sens de la composition s’est encore affiné pour atteindre ici une cohésion inégalée… Et pour une fois, aucune des 40 minutes de cet album n’est de trop. Pas de remplissage, pas d’errance, l’ambiance prend place et se développe judicieusement, juste le temps qu’il faut. Pour les amateurs de la première heure, pas d’inquiétude. Les nerfs seront toujours mis à rude épreuve : ‘A Lamb’s Lullaby’ ouvre le bal en grandes pompes (dans la gueule !) avec un fabuleux capharnaüm qui laisse coi... Le tout restant plongé dans une émotion troublante, un spleen retenu, toujours masqué par les dissonances orchestrées, comme pour ne pas montrer ses sentiments, échapper à sa condition humaine en l’enfouissant sous une carapace d’excentricité. Mais à force de dissimuler ses émois, le naturel finit toujours par exploser au grand jour. ‘Empty Cup’ en est le plus bel exemple, la voix d’Anne Eickelberg se présentant ici simple, pure et touchante comme jamais. ‘Elgin Miller’ aussi joue dans cette catégorie, mélangeant progressions d’accords à la sensibilité palpable avec des parties de guitare aux harmonies complètement loufoques, typiquement TFUL. La face B dérive plus aisément dans le branquignolage calculé, commençant par la marche aux zombies qu'est 'Brains'. 'Cuckoo at the World' est d'un surréalisme aussi corrompu que ces oiseaux de malheur. ‘The Arbeiter’ fait office de déversoir à absurdités, placé juste avant la ballade ‘Triple X’, ce qui n’empêchera pas cette dernière de se terminer dans un déluge poisseux de guitares grinçantes… enfin, la paire ‘Booth Delirium / Hills’ achève le disque dans la classe la plus totale, en forme de marche sereine, piano céleste à l’appui. Mais pas besoin de tourner autour du pot plus longtemps. Vous espériez qu’il arrive à bon port ? Le voilà. Le chef d'oeuvre des Thinking Fellers se pose là devant vous.