Rollins Band › Life Time

Henry est triste en cette année 1986. Le drapeau noir a été replié, plus jamais il ne se dressera fièrement dans le vent houleux du hardcore. Henry est aussi en colère. Henry a toujours été en colère, il ne ne souvient d'ailleurs plus ce que c'est d'être serein. Même avant la fin de Black Flag il en avait déjà rajouté quelques couches à coup de spoken-words au vitriol, exercices qu'il va maîtriser de mieux en mieux au fil des années. Alors, Henry, que veux-tu faire maintenant ? Redémarrer là où le drapeau est tombé ? Prendre la tangente ? Ah d'accord, un peu des deux donc ? Henry trouve des potes qui veulent jouer avec lui, il est un peu moins énervé. Du rock bien gras oui, mais aussi du funk, du jazz etc. Henry décide de changer de nom le temps de quelques titres, ça coûte moins cher que de se faire opérer (et s'appeler comme un chat célèbre [Garfield] peut être un facteur d'énervement). Finalement Henry (pardon, Henrietta) et ses amis ne s'éloignent pas trop de leurs racines punk et s'amusent avec des chansons de Queen et de Wire, juste pour voir ce que ça fait. Et ça fait du bien ! Alors Henry reprend son nom en R et s'attaque à un album complet avec du Velvet Underground et du Suicide dedans. Il faut croire qu'Henry ne peut pas ne pas être énervé, car il change de camarades de jeu (il garde son pote Chris quand même, sacré guitariste mais moins énervé qu'Henry) et lance la bande à Henry, pardon, le Rollins Band. “Life Time” donc, premier album sous la formation classique, annonce la couleur sur le degré d'énervement d'Henry dans les années à venir. Et le niveau ici est déjà pas mal, car même le “Gun In Mouth Blues” est tendu comme un slip amidonné (oui Henry je sais, tu ne porte que des shorts, ne t'énerve pas), ce qui n'est pas peu dire après l'enchaînement burné des trois premiers morceaux. Il n'y aurait pas de quoi énerver Henry si je disais que cet album paie malgré tout sa dette envers le passé musical de ce dernier, oscillant entre fureur punk (“What Am I Doing Here?”, “If You're Alive”) et heavy rock hérité du “My War” de Black Flag (“You Look At You”, “Wreck-Age”). Bien sûr ces aspects seront encore présents pendant quelques temps, mais dès l'album suivant Henry prouvera qu'il peut se montrer plus énervé en étant plus lourd et lent. Ses camarades de jeu se montrent plus qu'à la hauteur, ils ont plutôt intérêt, il savent ce que ça fait d'énerver Henry. Alors qu'Henry me gueule “I've Been Turned Out”, j'ai la désagréable sensation que je vais pas tarder à m'en manger une pas piqué des vers. C'est à n'y rien comprendre, qu'ai-je bien pu faire pour l'énerver à ce point ?