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Gonzaguinha › Luiz Gonzaga Jr. [73]

  • 1973 • Odéon SMOFB-3778 • 1 LP 33 tours

lp vinyle • 10 titres • 34:54 min

  • face a
  • 1Sempre Em Teu Coração3:45
  • 2Minha Amada Doidivana3:22
  • 3Página 134:30
  • 4Romântico Do Caribe3:02
  • 5Sim, Quero Ver3:43
  • face b
  • 6A Felicidade Bate À Sua Porta3:10
  • 7Palavras3:50
  • 8Moleque4:26
  • 9Comportamento Geral3:00
  • 10Insônia2:06

informations

Directeur musical : Maestro Gaya - Producteur : Milton Miranda - Assistant producteur, orchestrations, direction d'orchestre : Meirelles - Supervision de l'enregistrement : Z. J. Merky

Artwork et photo de pochette par Eduardo Chalita et Eduardo Andrade - L'édition remasterisée de 1997 contient une bonus track : Depois Do Trovão, enregistrée en live en 1972

line up

Non renseigné - indisponible à ce jour à notre connaissance

chronique

Pour son premier album, celui que l’on n’appelle pas encore affectueusement Gonzaguinha (« le petit Gonzaga ») est déjà un artiste accompli, mais encore assez peu fréquentable… Débutons par le commencement : il s'agit du fils de l'alors légende vivante du forró Luis Gonzaga, déjà remarqué à l'ère des grands festivals pour ses compositions originales et acerbes envers la junte militaire alors au pouvoir au Brésil, lui valant le surnom de « cantor rancor » (chanteur rancoeur) et tout un tas de censures de chansons par le DOPS, organisme entre autres en charge d'expurger la musique brésilienne de toute sa dimension subversive. Ces années de singles et de scène ont nécessairement eu un rôle important dans la formation de l'artiste Luiz Gonzaga Jr., déjà d'une impressionnante maturité pour son premier album. La musique de ce grand maigre habité de colère froide ne prête pas franchement à rire, même si musique brésilienne oblige, il y a beaucoup d’entrain et de joie dans les mélodies. Ce n’est pas le cas du grandiose morceau introductif, « Sempre em teu Coração », sorte de mètre-étalon des chansons gonzaguinhesques à venir, mi-ballade mi-vocifération angoissée… On pense à Milton Nascimento pour ce mélange de pop, de rock, de jazz et de sonorités brésiliennes, cette MPB de haute tenue, mais Gonzaguinha est plus frontalement politique, en témoigne « Comportamento geral », l’un de ses premiers succès, chef-d’œuvre de samba et de vitriol dans sa fausse injonction au conformisme, sa singerie du régime militaire qui manierait carotte et bâton, promettant au peuple bière, samba et musique. Gonzaguinha ne semble pas tendre non plus avec son peuple, qui se tient sage tant qu'on n'annule pas son bien-aimé carnaval...

Le reste du disque est d’une variété et d’une densité admirables, Luiz Gonzaga Jr. réussissant à peu près tout ce qu’il entreprend à cette époque. Je rate probablement une bonne partie des métaphores dont les artistes usaient à cette époque pour contourner la censure, mais Gonzaguinha avait déjà un fort penchant pour le spleen poétique, pour l’expression de son mal-être : il se montre ici incapable de parler d’amour sans évoquer la souffrance, comme sur la faussement apaisée « Minha Amada Doidiviana ». « Página 13 », le morceau le plus rock, est lui franchement grinçant, avec son histoire d’homme bien éduqué et dans le rang finissant par tuer sa femme et ses enfants puis par se suicider, comme ces innombrables témoignages de voisins suivant systématiquement les attentats et tueries de masse et dont se repaissent les médias, « un homme discret et sympathique, je ne comprends pas son geste… » Tout allait si bien pourtant ! Gonzaguinha débute sa discographie mais n’en peut pourtant déjà plus. L’un de ses thèmes principaux, qui le place plus dans la tradition du « sourire samba » des Cartola et Nelson Cavaquinho que du forró de son père, est déjà la joie apparente cachant le mal-être, déclinée sous toutes ses formes, en particulier sur la fondamentale « Palavras », très explicite : « depuis quand sourire est-il être heureux ? Quand il fait mauvais, les gens disent quand même bonjour ». Il s'agit d'une véritable profession de foi de la première période de sa discographie : le craquage ultime, l'équivalent musical de fondre en larmes. Le langage lui-même semble ici devenir insupportable d'hypocrisie pour Gonzaguinha... « Moleque » ressemble quant à elle à un défi lancé à la dictature militaire, par son dialogue : « - Morveux, si jamais je t’attrape… - Non, je n’irai pas ici ! Venez me chercher… ».Là encore, un leitmotiv important de sa première période.

A la lecture de ma chronique, on pourrait s’attendre à des hurlements mais Luiz Gonzaga Jr est encore plus déchirant par sa fausse contenance, sa colère rentrée. Il finira par s’apaiser, comme par hasard en parallèle de la fin de la dictature militaire, perdant avec son mal-être une bonne partie de son mordant musical. Reste sa période dorée, ces quelques talismans sentant le soufre, ces jalons inusables, encore honteusement mésestimés, dont « Luiz Gonzaga Jr » n'est que le premier représentant, mais pas le moins éminent : plutôt simple musicalement, mais bouleversant de tension et de mal-être contenus.

note       Publiée le mercredi 23 décembre 2020

chronique

Il faut écouter une merveille comme Pagina 13 pour comprendre que le Brésil tenait là le seul frondeur assez respecté par la profession pour pouvoir pondre un successeur à l'imposant (et parfois démoralisant) Construçao de Chico Buarque. Là, dans la touffeur de ces 4min30 réglementaires où une batterie rock imprime lourdement une cadence martiale mais empestant les remontées de cachaça, se bousculent des impressions et visions puissamment contradictoires. L'aridité de la violence banalisée, une auto (ou était-ce un tank?) manque de vous écraser le pied à une seconde près et ignore votre sueur froide et cri silencieux, puis dans le même temps, mais fatalement remarqué après, le chant absolument paradisiaque d'un oiseau vient rafraîchir vos oreilles, tandis que, d'une rue adjacente, un flûtiste harmonise avec lui, portant vos sens au comble de la gratitude. Pour autant, ce qui vous préoccupe le plus, c'est votre pied, que vous avez failli perdre. Et c'est à ça que tient l'équilibre précaire de la narration Gonzaguinhienne : ce cocktail d'amertume pas si rentrée que ça entre danger permanent et douceur de vivre, entre plaisir presque automatique (forcé ? une beauté qui s'impose à vos sens, semble-t-il...) et angoisse de perte, alimentée par des drames bien réels, omniprésents et empestant la fatalité guidée par une main où tout paternalisme de velours a tombé le gant, révélant la poigne de fer des derniers moissonneurs. Il y a Chico Buarque, mais il faut qu’il y ait aussi Gonzaguinha, comme il allait y avoir Cassia Eller. Mais c'est chez le fils Gonzaga que l'absence d'accroche et de refrain à reprendre (purée, on la cherche la samba, mais elle a déserté face au tambour des soldats, ici) fait le plus mouche. Cette cuica entr’aperçue sur le sombre Sim Quero Ver n'est qu'une toile de fond (tout comme la citation désabusée de "A Felicidade" à la flûte), un élément de décorum entraperçu en passant dans une rue pour touriste, comme l'entendrait un Lavilliers rentrant à son hôtel, la main crispée sur sa liasse dans la poche. Gonzaguinha n'a que la poussière à serrer, mais c'est la même hantise, savamment épicée de lassitude sans espoir. Même sentence sur A Felicidade Bate A Porta, brouillon de la profession de foi Um Sorriso Nos Labios : le chanteur y soliloque avec verve et ironie mordante sur un coin de comptoir, tandis que la télé reliée à la liesse d'un stade de foot tente de recouvrir sa litanie. Sourire jaune et tableau dérisoire. Douceur de l'instrumentation, dureté du propos et de l'accent, de la diction nette et serrée. L'aigreur qui vire à la nausée… Chaque titre contient ainsi son lot de détails subtils et jazzy, de recoins émouvants et flippés, de détours verbaux ne faisant que durcir la charge acide du fond.

Et pourtant, eh bien devinez quoi, on ne sait pas qui joue sur ce disque ! Un bref rappel de la bio (comme le bonhomme, assez maigre, voire famélique) peut nous mettre sur la piste : après une jeunesse très troublée auprès avec de parents « adoptifs » aimés, il rejoint à 16 ans son mythe vivant de père, peu dispo dans la vie, Luiz Gonzaga Senior, dans le quartier Cocotà de Rio, pile à l’époque où la bossa nova l’a complètement éclipsé de la scène – il vient pourtant de graver ses meilleurs disques. Soucieux de ne pas devenir un bête disciple de son daron, Luiz Jr va à la fac, fréquente un certain psychiatre, qui lui présente Ivan Lins, autre vedette de la MPB en devenir. Avec lui et quelques autres (Elis Regina, Aldir Blanc, futur parolier respecté) il se retrouve au centre de l’émission Som Livre Exportação, sur TV Globo, ce qui lui permet de percer après quelques participations à des festivals… C’est peu d’infos, mais ça me suffit pour supposer que les musiciens de ce premier album sont les mêmes que sur le suivant (l’épo de 74), c’est-à-dire à peu près les musiciens de Ivan Lins période pré-Modo Livre. Les deux ayant fait leurs armes au sein de la même promo de « l’école des festivals », la chose est logique.

Ça donne un premier album déjà très mature (et très à cran !), avec beaucoup de pistes à explorer, ce qui n’échappera pas aux interprètes, presque toujours féminines, qui en feront l’album aux chansons les plus reprises de son répertoire (on ne compte pas Começaria, dont tout le monde a repris les 2 slows). S'il n'y eut une ou deux balades un peu trop classiques dans leur langueur (contrecarrée par la voix, mais sans être un gimmick, disons que c'est un aspect sempiternel chez Gonzaguinha), on aurait bien discerné à ce premier album coup de poing la note maximale et le titre de chef d'œuvre méconnu et attendant dans son coin la réhabilitation aux airs de tour de magie réservée aux coups de semonce uniques. Seulement voilà, il y a une carrière derrière, toute une fratrie d'albums miraculeux et colériques, et hormis deux détournements irascibles et désespérés du paternel, pas une seule reprise ou concession à l'industrie des auteurs et paroliers indissociables de la tradition MPB. Et pour autant, ce type en remontrait sévèrement à Caetano Veloso (Comportamento Geral, ironique voire sardonique), Tom Zé (le groovy et hérissé Moleque) et même Milton Nascimento (l’ouverture) sur leur propre terrain. Un passage obligé pour atteindre le cœur revanchard et avide de lueur d'espoir malgré tout de la MPB.

note       Publiée le mercredi 23 décembre 2020

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dariev stands Envoyez un message privé àdariev stands
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et en même temps, il y a tellement PEU d'infos sur Gonzaguinha et sur la réception de ces disques à l'époque... Apparemment il aurait vendu très peu de ces premiers albums, mais quand on voit que c'est le cas aussi d'un disque rempli de tubes funk comme "Previsao do Tempo" de Marcos Valle, qui avait tout pour marcher, je dirais que toutes mes explications sont sans doute complètement fausses.

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dariev stands Envoyez un message privé àdariev stands
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Perso j'avais été étonné de voir un texte du très respecté et "officiel" site Dicionario da MPB, se voulant un peu encyclopédique, critiquant la période pré-Moleque de Gonzaguinha pour son côté trop revendicatif, trop plaintif, trop unidimensionnel dans son côté politisé... Et encensant son virage pop-romantique de la fin des 70's. Donc la réponse serait : oui, la MPB était vraiment reine jusqu'à la fin des 70's, mais se concentrait autour d'une dizaine de valeurs sûres. On a le même phénomène qu'aux USA ou en Angleterre (pas en Europe, ou bien moins) dans les 70's : pour un Neil Young, on a des centaines d'outsiders à qui on a donné des moyens pour reproduire la formule "songwriter doté d'arrangements sophistiqués" (qu'ils soient sombres, minimalistes, funky, mystiques, ou le plus souvent luxueux et mélancoliques). Pour peu de résultats (normal), mais comme les ventes de disques grimpaient au Brésil plus encore qu'ailleurs, le jeu en valait la dépense (normal aussi).

Ce que je ne comprend pas forcément à ce jour, c'est que au Brésil, contrairement à ailleurs, il y a un quasi monopole de Odéon (puis EMI/odéon) et Phillips, donc ils n'avaient pas "besoin" d'avoir plus d'un Chico Buarque ou Jorge Ben chacun. Et pourtant, tous ces disques sans doute couteux ont été enregistrés.

Je crois qu'on aurait du mal, vu d'ici et de maintenant, à comprendre qu'est ce qui faisait que tel artiste de MPB vendait beaucoup à l'époque (en dehors du côté samba de Jorge Ben ou Buarque, je pense + à Milton Nascimento en effet, Caetano Veloso quand même, mais surtout Raul Seixas, Secos & Molhados, Gal Costa, Bethania et Elis Regina à fond), et pourquoi d'autres comme Gonzaguinha n'ont pas été très populaires pendant leurs (longues) premières années, expliquant cette étiquette de "malditos". Autant pour Tom Zé et Jards macalé, on comprend très vite en les écoutant, autant pour Luiz Mélodia ou Gonzaguinha, on se dit que c'est presque plus accessible que le tropicalia ou que Secos & Molhados. Je pense que Gonzaguinha cultivait peut-être un côté pas cool (il se coupe les cheveux courts en 73-74) qui prenait à rebrousse-poil, mais sinon, j'avoue ne pas être connecté à l'inconscient culturel brésilien, tout comme je n'explique absolument pas leur amour de sa période 80's ! (les télénovelas, d'accord, mais pfiou, c'était mauvais)

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Copacab Envoyez un message privé àCopacab
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@Ntnmrn : tout dépend de la mpb dont on parle ! Gonzaguinha est l'archétype du "maldito", il n'a commencé à avoir du succès que lorsque sa musique a commencé à s'affadir... A vu de nez les artistes populaires faisaient quand même une musique moins complexe même si de très beaux auteurs-compositeurs étaient des stars (Chico Buarque qui est déjà sur guts, Paulinho da Viola qui le mériterait). Une exception pourrait être Milton Nascimento mais je ne voudrais pas dire de connerie, je ne suis pas sûr de l'immédiateté de son succès.

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Klarinetthor Envoyez un message privé àKlarinetthor

Ils ne font peut-être que la seule et même personne!

Ntnmrn Envoyez un message privé àNtnmrn
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Un véritable envoûtement cette musique populaire brésilienne. Merci! Comme je n'y connais rien, j'ai une question : à quel point c'était "populaire" la mbp au Brésil dans ces années-là ? Car c'est drôlement élaboré comme musique mine de rien.