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Thelonious Monk › Straight, No Chaser

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gregdu62      vendredi 17 juillet 2020 - 09:54
Dioneo      dimanche 5 juillet 2020 - 12:23

cd • 9 titres • 76:05 min

  • 1Locomotive6:41
  • 2I Didn’t Know About You6:52
  • 3Straight, No Chaser11:29
  • 4Japanese Folk Song16:43
  • 5Between the Devil and the Deep Blues Sea7:37
  • 6We See11:38
  • Bonus de l’édition CD
  • 7This Is My Story, This Is My Song1:42
  • 8I Didn’t Know About You (Take 1)6:50
  • 9Green Chimneys6:35

informations

Enregistré les 14 et 15 novembre 1966, et le 10 janvier 1966 au Columbia 30th Street Studio, par Frank Laico. Produit par Teo Macero.

line up

Thelonious Monk (piano), Ben Riley (batterie), Charlie Rouse (saxophone ténor), Larry Gales (contrebasse)

chronique

« Straight, no chaser » – j’ai longtemps cru que ça voulait dire « direct, sans chicanes », un truc du style. En fait… Eh bien dans un sens, oui, d’ailleurs, ça veut dire ça – plus littéralement peut-être, l’idée rendue plus brute, que si ça se traduisait ainsi mot pour mot. A la place, donc : « sec, sans flotte » – ni rien d'autre pour diluer, ni rien derrière pour amortir, faire passer, en causant d’un verre d’alcool fort. Selon les gosiers, ça peut brûler en passant, ou ravir, ou les deux, ou autre-chose, c’est vous qui savez. Ça va taper plus vite, immédiatement à la tête, aussi, plus ou moins selon que ce sera corsé – et filer la Saint-Guy, des visions, la parole et le pas décomplexé ou cet espèce d’incoercible vertige… Là aussi, c’est selon.

« Monk, c’est selon », de même ? Oui – et son contraire. C’est circonstancié – tout le poids et l’articulation, les aléas et joies du jour, l’espace ou ça joue, la compagnie et l’état de chacun là-dedans – jouant encore plus qu’avec d’autres (musiciens, groupes… musiques – jazz ou pas). Mais c’est irréductible, aussi, toujours – reconnaissable dès qu’il enfonce ou effleure une note. (Et même quand d’autres jouent ses compositions, d’ailleurs – le touché, le débit, est déjà, chez lui, dans l’écriture). Monk, ici donc – mais comme partout, en fait, immuablement, et pourtant agité, toujours, mouvant – non-dilué. Sophistiquée, en revanche, là, la session. Le son magnifique – clair, détaillé, aéré malgré la densité – oui, là aussi : comme très souvent – de ce qui s’y joue. Pas seulement, pas essentiellement peut-être, une question de mixage, d’ailleurs : Monk ici est en parfaite compagnie (« parfaite pour ce qu’il a », comme on dit). Charlie Rouse, fantastique partenaire, c’est connu, ça s’entend ici pleinement – la sonorité solide, généreuse, mais souple, le phrasé fluide et jamais vraiment prévisible, réponse expressive, en lien fort, intime avec celui de Monk, poussées et freinées, revirements qui se pourchassent et s’entraînent, s’attrapent et se contournent, entre ces deux-là. Toute une vie qui jaillit et se concentre, quand ils se passent la suite. Et la rythmique – sans que se dégage, certes, cette impression d’une « fraternité substantielle », étroite et remuée, comme entre Monk et Rouse – pareillement en place autant qu’insaisissable, toute pleine encore de l’après bop, de ce qui en avait directement découlé… Là aussi, j’entends : sans dilution, sans retour aux courts laps où chacun devait brièvement s’exprimer, briller, en solos – ceux-là eussent ils été plus « informés », harmoniquement et rythmiquement complexes que dans les formes d’avant, du jazz. Ici – comme dans le bop donc, mais sans s’en tenir à un « canon bop » ; pas plus qu’en s’engageant dans une quelconque esthétique, approche, attaque free – tous improvisent en même temps, hors des passages manifestement solistes autant que pendant ceux-là ; des variations qui sont plus que des variantes, qui ne sont pas des écarts mais des extensions et des rétractations, des couper-courts ; sans jamais lâcher le flot, remous ou pas dans le jeu du « leader » – dans l’écriture, déjà, disais-je. Parce que les remous et saccades, les embardées SONT le flot, l’allure, la partition qui refuse de se fixer autant que de fausser les axes de l’idée, des compositions…

J’ai longtemps cru – aussi, bis – que l’extraordinaire Japanese Folk Song était une fausse reprise, un exercice matois, une pièce de folk créée par Monk lui-même. De fait non : la chanson (Kojo No Tsuki : Clair de Lune sur un Château en ruines) est bien l’ouvrage d’un certain Rentarō Taki, compositeur de l’ère Meiji qui l’avait écrite comme une « leçon » de musique, une mélodie facile, à pratiquer… De fait : Monk et son quartet la pratiquent, la pièce, la parcourent ! En exposent – Monk en premier, dès l’entame au piano seul – le thème simple mais touchant, poignant et fluide, flottant ; avant que le groupe, sa dynamique sans pareille, en aspire la bouffée, la mette en incessante circulation (la version complète de l’interprétation s’étend au-delà des seize minutes), n’imprime à sa courbure, à son déroulé, toutes les nuances possibles, les tournures, ne la portent à sa plus forte, sa plus belle, sa plus émue intensité – tandis que la pensée, en même temps, l’intuition mathématique de ceux qui jouent élèvent et poussent la ritournelle au bord d’une abstraction où elle ne bascule jamais, parce que tout ça est une question d’équilibre et basculements sans cesse trouvés dans l’instant du jeu, de l’action même, parce qu’ici « chercher » et « accomplir » ne diffèrent pas – se trouvent autour d’un iota qui est la joie de la chose autant que sa profondeur. … Monk, derrière ça – seul, sur un standard plus près de leur supposées bases : Between the Devil and the Deep Blue Sea, composée au début des années 30, enregistrée la première fois par Cab Calloway ; avant ça sur ce disque, au fait, Monk et le groupe jouent aussi Ellington (I Didn’t Know About You) et ce n’est pas plus… déplacé – Monk, oui, peut bien se fendre d’une de ces plages où lui seul attaque l’instrument, et parvient à jouer presque ragtime, franchement stride, sans que la « modernité », disons plutôt la pertinence actuelle (et totalement persistante, prise d’ici) de son jeu ne se délite, ne se lisse, ne se perde.

Direct au but et tout en riches méandres, c’est comme ça qu’est ce disque, oui, décidément – sans chicanes, j’insiste, mais sans concession à l’esquisse, à une sorte d’épure qui tiendrait du moyen-terme, de la négociation. C’est comme ça qu’est la musique de Monk – c’est ainsi qu’elle « prend », ici, avec une force, une richesse particulière, ramifiante et cohérente, à un degré d’elle-même franchement exceptionnel. Ce serait dommage – en effet – d’y mêler du tonic, du perrier, un quelconque ingrédient dérivatif, de vouloir se flatter, alors qu’eux distillent ainsi, aussi entier, d’un mélange, d’un titrage moins serré, sous prétexte qu’on y venait platement pour se distraire.

note       Publiée le dimanche 28 juin 2020

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WZX Envoyez un message privé àWZX

Déniché dans un bac cd, pris sur le souvenir de la chro parue ici même et plutôt élogieuse. Première écoute et pas déçu, au contraire ! La mélodie entêtante de la Japanese (pas-)folk song, la longue pièce solo, l'air ellingtonien, le style inimitable de Monk que je ne connais pas tant que ça accompagné. Et puis beaucoup de choses qui ne m'ont pas fait tilt pour l'instant mais me donnent déjà l'envie d'y retourner ! A suivre donc

gregdu62 Envoyez un message privé àgregdu62

En effet, Japanese folk song ou encore le morceau titre, l’enchaînement des morceaux est excellent. Et puis voilà que Monk y déroule un superbe morceau en solo, le standard Beetween the devil and the deep blues sea (avec en effet une manière stride - voire ragtime -, qu'on retrouve dans quelques autres de ses pièces. Par exemple il y a aussi un boogie woogie revenant de manière cyclique dans le morceau bluesy "Functionnal" de l'album solo "Thelonious himself"). Cette 5ème piste est parmi mes favoris de ses enregistrements solo, avec par moments un certain lyrisme (mais cohabitant avec dissonances etc) qui n'est pas sans me rappeler le live donné en 1969 au Berliner Jazztage sur un répertoire principalement Ellington, avec une même cohabitation. Les quasi trémolos de fin de morceau font un peu penser à Earl Hines qui avait accompagné Louis Armstrong dans les années 30 et 40. Quant à "We see" c'est une très bonne version, même si je reste aussi très attaché à la version solo donnée sur l'album "Piano solo" de 1954 (sous le titre "Manganese"). Le line-up de cet album a aussi donné lieu à plusieurs live (parfois filmés) trouvables sur la toile, tout un pan à parcourir :)

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Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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Tiens, j'ignorais, pour Lalaland (pas sûr que ça va me donner envie de le voir...).

Et moi, sinsiter ?! Nooooooon ! Bon OK... Le fait est que - ça a dû se voir - je me refais une bonne phase Monk, en ce moment, et qu'à chaque fois que ça m'arrive, l'envie de réécouter la Japanese Folk Song en question me reprend à un moment, assez vite en général. Et vu que tout le reste de l'album, après que j'ai eu accroché à celle-là, m'avait tout de suite causé... Bah voilà, j'en cause.

(Oui hein... Le "familier" ça a beau être une notion qui prend un sens particulier, chez Monk... Ben là on y est direct, dans cette acception là du truc).

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dimegoat Envoyez un message privé àdimegoat
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Apparemment, la japanese est dans Lalaland, ce qui a redirigé pas mal de gens vers ce Monk, par ricochet. Je connaissais mal cet album mais ton insistance récente m'a replongé dedans. C'est vrai que dès les premières notes, on sait où on se trouve, avec qui, et on s'y sent bien.