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Thelonious Monk › Thelonious Alone in San Francisco

  • 1959 • Riverside RLP 12-312 • 1 LP 33 tours
  • 1986 • Riverside OJC-231(RLP1158) • 1 LP 33 tours
  • 1987 • Riverside 00025218623124 • 1 CD

cd • 11 titres • 43:41 min

  • 1Blue Monk3:46
  • 2Ruby my Dear3:55
  • 3Round lights3:33
  • 4Everything happens to me5:40
  • 5You took the words right out of my heart4:03
  • 6Bluehawk3:37
  • 7Pannonica3:53
  • 8Remember2:43
  • 9There’s danger in your eyes Cherie (take 2)4:21
  • 10There’s danger in your eyes Cherie (take 1) 4:00
  • 11Reflections5:10

informations

Enregistré à San Francisco les 21 et 22 octobre 1959 par Reice Hamel. Produit par Orrin Keepnews.

La piste numéro 10 (première prise de There's danger in you eyes, Chérie) ne figure pas sur l'édition vinyle de 1959.

chronique

  • hat & beard (& a wooden bodied car)

Il y a toujours eu, il y aura toujours chez Monk quelque chose d’irréductible, d’intime et d’étranger. Comme une question familière qu’on aime à retrouver, à parcourir sans lui chercher d’issue, de fin. Un inconnu qui nous serait cher. Ces attaques brutales, ces dissonances impromptues, ces cascades cristallines qui s’achèvent en martellement. Sans conteste, cet homme fut de son temps, du courant de ses jours. Cette langue, il fut de ceux qui la créèrent et tous les autres - Parker, Powell, Gillespie, Davis même à ses débuts… - furent bel et bien ses frères... Ce be-bop qui fit scandale - puis florès. Qui ne devait durer qu’un temps bref, celui de briser les syntaxes et chapitres, pour qu’en naissent bientôt de nouvelles paroles, classicismes neufs ou bien dissidences. Celui de devenir, vite, vite, une autre marchandise. Mais lui continuait de dire son fait. Avec bien plus qu’un singulier accent. Avec un autre souffle, une articulation qui en changeait le sens, en livrait la substance sans la vulgariser. En déplaçant tous les pivots, en achoppant, en trébuchant, en insistant pour permuter, tournebouler ces phrases partout ailleurs ressassées. Quelque chose, à vrai dire, comme les intuitions des artistes bruts mais avec une conscience, un savoir harmonique, une obsession du rythme à dessein (et à peine) décalé ; joueusement retardé, retenu puis lancé sans ambages. Et puis ce dévoiement amoureux de lignes simples, de mélodies toutes nues avec pour ornements leur forme et leurs postures. Ces timbres riches et rugueux, boisés, palpables, élémentaires et généreux. Et le voilà encore une fois qui, descendant du tram, s’assied seul au piano. Dans l’un de ces lieux - ici le Fugazi Hall de San Francisco, avec sa chaude acoustique - où s’épanouissent le plus singulièrement son génie si particulier. Pour l’une de ces méditations sur des thèmes connus. Ses classiques propres, ni tout fait les mêmes, ni tout à fait des autres (Blue Monk, Ruby, la baronne Pannonica... changeants et semblables, comme les humeurs de ceux qui peuplent une vie). Des standards oubliés de tous, aussi – mais pas de lui, avec son attachement aux romances riches en chausse-trapes potentielles, en tournures ritournelles, en suavités piégées (There’s danger in you eyes…). Et puis ces poèmes qui ne se disent qu’une fois (ou guère plus, et jamais sous une même lumière), dans le feu de l’instant, en se risquant auprès des bords (Round lights, pour cette fois). C’est qu’il y a toujours, dans ces séances d’ermite loin des complicités avec ses rares et fidèles compagnons, une approche de rhapsode, presque de trouvère, à la fois très abstraite - dans l’exigeant et si variant cheminement de ses lignes (de fuite ? d'horizon ?) - et absolument immédiate dans le dessin qu’elle nous donne à saisir. Un art qui tient du blues, sans doute, beaucoup, dans son acception la moins encline à l’inutile politesse. Celui où l’interprète s’obnubile de phraser comme personne, par nécessité. Parce que personne ne respire tout à fait à la même vitesse. Et que de fait, les mots ne sortent pas pareil. Parce qu’on ne peut pas, surtout, marcher du pas d’un autre. Sans doute aussi de sources moins marquées, tant l’instrument prend sous ces mains, comme rarement dans ce jazz où il est censé se tenir, l’allure d’un plein orchestre. Dans ses aigus cuivrés, ses basses percutées, ces médians aux contours en sympathie avec la voix (et oui, au fait, comme toujours Thelonious grogne par bribes ce qu'il joue). Dans ses écarts de volumes, aussi, de l’effleuré à l’enfoncé. Mais plutôt, encore une fois, comme dans l’art des conteurs, des musiciens itinérants. Dans le folklore de l'homme seul. Cette extension de l’instrument ne vient pas, ici, tenter de compenser, d’imiter ce qui manque. On n’est pas là chez ces romantiques d’Europe, où le soliste veut s’enfler aux dimensions d’une symphonie. Non… C’est plutôt que l’instrument, la voix unique, contient déjà toute musique. Qu’elle peut s’y exprimer sans combler une absence, sans la prétention d’emplir une place étrangère. C’est que, lorsque d’autres reviendront, elle passera vers eux, leur prendra, leur donnera. Mais que pour l’instant, rien ne lui manque. Car la manière de Monk, qu’on a souvent dit inchangée d’un point à l’autre du parcours, n’est pas immobile mais inamovible ; jamais figée mais insoucieuse de montrer, toujours, de nouvelles parures, de nouveaux tours. Ce qui la change tient plus au jour, à l’instant, à l’espace du lieu où s’imprime la bande qu’aux années, aux écoles, aux supposées périodes qu’on prête aux créateurs. Et ces moments où rien n'interfère sont toujours instantanés, uniques, impossibles à refaire ; à première touche connus, retrouvés, embrassés du regard avec reconnaissance ; et profonds, et directs, énigmatiques mais détachés de tout besoin de traduction. Un solo de Monk, c’est toujours une discussion intérieure - et le don sans reprise qu'il en fait ; une pensée, des joies, des inquiétudes et des espoirs dont on ne saura pas les buts, les prénoms ou les âges - mais qui nous sont transmis, véhiculés immédiatement en gammes altérées, métriques basculées, flottements et fulgurances ; incandescences et apaisements. Une question familière, disais-je. Qui nous fait signe de la main depuis le marchepied. Qui en descend encore et s’assied au piano. Une fois de plus. L’une des plus belles. L’une de celles, irrésolue, qui nous rencontreront toujours. Et qui nous questionneront par voie d'entendement.

note       Publiée le samedi 10 juillet 2010

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    Thomas Envoyez un message privé àThomas

    Je me suis récemment chopé les 2 compils qui regroupent ses enregistrements solos :

    - Monk Solo (1954-1961) & Monk Alone (1962-1968)

    Au total 4 disques remplis à ras bord, je me régale, je crois que je le préfère en solitaire même si la discographie en groupe vaut le détour également.

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    gregdu62 Envoyez un message privé àgregdu62

    Encore un bon opus solo. Mais pour l'heure, peut être cela changera suite à d'autres écoutes, je suis davantage saisi par ses albums solo "Piano solo" (1954) et "Thelonious himself" (1957). Je ne saurai l'expliquer, éventuellement Dioneo si dans le futur tu as du temps et de l'énergie à chroniquer d'autres albums solo, tu sauras évoquer des comparaisons. Attention cet album je l'apprécie, en particulier la version "Blue Monk", celle du standard "Everything happens to me" ou encore Blue Hawk, une compo inédite pour moi. Mais dans l'ensemble il y a quelques baisses et mon attention parfois se lâche un peu. Ce qui n'est pas le cas par exemple pour "Thelonious himself", rien que l'enchaînement magistral du début: "April in Paris" (bijou, bijou... surtout en écoute nocturne !), "I don't stand a ghost of a chance with you" (standard revisité) et le long morceau "Functionnal"

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    Klarinetthor Envoyez un message privé àKlarinetthor

    The Cape Verdean Blues pour moi, caipiranha sur le zinc. mais oui, Horace Silver est très renommé dans le monde bop et post-, peut-etre pas assez cité sinon. Monk ça reste quand même très spé, même aujourdhui; et je ne vois pas (j'espère qu'on va me faire, voir) de pianiste qui ait eu un impact sur le jazz presque comparable. Lennie Tristano? Cecil Taylor, tout un monde, aussi. En pourtant Hancock c'est quelque chose, McCoy aussi. mais on revient à Monk. Il a croisé tout le monde, Rollins, Duke, Coltrane, Parker... Il était à l'origine du bop, et dans son prolongement. Autant au saxo, à la basse, aux percus il y a vraiment à aller voir dans la musique enregistrée depuis 40 ans, autant au piano? j'espère me gourrer, mais Thelonious a placé le marche-pied assez haut.

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    (N°6) Envoyez un message privé à(N°6)
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    Pour Horace Silver : Song For My Father. Avec un mojito à portée de main.

    gregdu62 Envoyez un message privé àgregdu62

    Un peu hors sujet, mais lors d'écoutes d'enregistrements de Miles Davis en 1954, je suis tombé sur des morceaux enregistrés avec Sonny Rollins et le pianiste Horace Silver. Il y a vraiment du bon et le jeu de Silver m'a percuté tout en me faisant un peu penser au style de Thelonious MonK (en particulier d'excellents solo sur Doxy et Walkin' enregistrés par Davis en 1954). Je regardais sur Guts si Progmonster était passé par là mais non pas de chro' sur la disco Horace Silver. En tout cas une bonne piste musicale que ce Horace Silver, dont les bios rapides que j'ai lu mentionnent effectivement une influence de Monk et présenté comme un historique du Hard bop. Je jetais une oreille sur son premier album en leader d'un trio composé de Art Blakey. Pas mal du tout et en effet encore un son parfois proche de Monk, même si bien sûr le style de ce dernier demeure unique.

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