Oxbow › Thin Black Duke

On dit d'un disque qu'il est nocturne quand il se montre à la fois torturé et sensuel, romantique et mélancolique, langoureux et ferme. Il doit y avoir un malentendu. Mes nuits à moi ne sont rien de tout ça, plutôt l'inverse. La nuit rime avec solitude, mauvais alcool qui brûle, errance. La nuit n'a rien de romantique ni de sensuel, elle empeste les camions poubelles et la musique R'n'B qui s'évade des portes mal isolées des bar de nuits. La nuit n'a rien de sensuel, à l'image de ces sportifs aux cheveux bien dégagés sur les côtés et de ces pouffiasses trop maquillées. La nuit, quand on l'invoque trop vite, ressemble à ennui. Et tout ce qui apparaît comme son intérêt se révèle aussitôt comme le seul moyen d'en échapper. La nuit est un trou qui vous absorbe, même sous la pluie, car y passer nous y ramène - simple logique circadienne. Le plus tragique, c'est que l'échec qui s'en déduit (celui de la séduction et de la drague à la petite semaine sur des personnes qui n'ont jamais présentés aucun intérêt à nos yeux, puisque c'est là son centre névralgique, avec sa conséquence direct, la défonce au rabais) entraîne un mécanisme de répétition, à savoir le plaisir qu'on retire de la défaite. On dit du dernier disque d'Oxbow qu'il est nocturne. Rien n'est plus faux. « The Thin Black Duke » n'est en rien misérabiliste, plutôt l'inverse : il est brillant, fort, sûr de lui, malgré cette tristesse douillette dans le nid des tréfonds de son âme. Il n'est pas sensuel, il est sexy, comme un vieux jazz. Séduisant, et désinhibé juste ce qu'il faut – en d'autres termes, il n'est pas nocturne, il est crépusculaire ; mettons, entre 19h et 21h l'hiver. Son modèle, il l'a déjà éprouvé : « She's a find », du précédent (son meilleur titre), sur la durée d'un album. Ce qui est à la fois une bonne et une mauvaise idée. Une bonne, car ce titre figure probablement dans le top 10 de la décennie précédente, ce qui vous pose un jalon gros comme ça, et qui vous donne envie de vous en baffrer encore. Une mauvaise, car l'album souffre d'un manque de tension, il devient trop homogène, trop confort, on arrive à l'écouter comme ça en fond sonore, ou en bagnole, il n'a guère de moment glorieux puisqu'ils le sont théoriquement « tous » - sur « Narcotic », le moment glorieux était justement un creux, un ralentissement, un essoufflement. C'est ce problème qui donne sa justification à un autre : Niko Wenner. Ce dernier semble vouloir emboîter le pas à Eugene, qui lui reste fidèle à lui-même (excessif, grandiloquent, féminin, violemment sexuel, tendre et brutal) avec ses arrangements pour le moins envahissant - pour contrer la monotonie ? Des montées de cuivres dans tout les sens pratiquement hors contexte, du piano et des cordes en surnombre qui alourdissent terriblement des compositions pourtant déjà bien dodues. Syndrome du compositeur pas assez célèbre qui aimerait être reconnu pour son ambition ? Il en fout partout, et c'est vraiment pénible au bout d'un moment – j'espère que si l'album a mit dix ans à se faire ce n'est pas à cause de ça... - et pas aidé par un mixage assez... bizarre, j'ai cru qu'il avait les doigts bloqués sur son clavier midi (ce qui est d'ailleurs tout à fait probable vu que « Oxbow Orchestra Eternal » sans mention de musiciens ça évoque le patronyme improvisé pour un logiciel quelconque). C'est probablement ce qui fait de cet album une petit déception – s'il tourne avec plaisir ici, ce n'est jamais en boucle, et rarement en entier – on l'écoute donc dans et pour un autre contexte que les précédents, et c'est même plutôt bien, d'ailleurs ; c'est juste que ça me fait un peu drôle de penser qu'Oxbow est devenu un super groupe à écouter avec ses mômes.