Changement d’élément. Retournement, même, à vrai dire : des neiges et verglas, des déserts blancs du disque précédent – Les Saintes Glaces – on passe au feu. Autre halo, le spectre vibre ailleurs : dans le rouge, forcément. D’autres manières pour le sourd et le perçant, donc ; deux faces au fond tout aussi insidieuses : le froid endort, engourdit, passé le seuil de douleur de la gerçure, de la gelure ; le feu éclaire, attise, fascine, avant de lâcher dans la chair, les entrailles, son horrible longue morsure… Furnaces & Pyre est drone. Nettement, bien plus que ceux d’avant. Combustion rayonnante du son ; larsens couvés et qui courent en flammèches sur les enveloppes. Le rythme cette fois – sur la première pièce spécialement, Les Fournaises, donc, qui s’étire sur plus de vingt et une minutes ; qui y roule, s’y enfle, y déforme en mouvement lent sa surface – n’est cette fois jamais gourd ni cassant. Il pulse, plutôt – dilatation et réfraction – avec une majesté d’astre, de soleil. Le temps n’est rien pour lui. Il nous montre que nous ne sommes qu’insignifiants fragments face à lui. Majestueux, lointain, mortel et source première de nos existences à travers les éons, les millions de milles. Indifférent et généreux comme le décrivait le fou Zarathoustra – comme lui sortant tous les matins de sa caverne pour nous nourrir de son trop plein. Parfois une éruption jaillit et c’est toute une erre qui flambe, s’assèche ou se fertilise. Mais le feu – de retour ici, à notre échelle – c’est aussi l'instrument de pauvres punitions humaines. Le Bûcher (Pyre). Parodie d’épreuve d’où le fauteur doit sortir confondu, ou purifié, ou les deux – en tout cas mort calciné. Dérisoire de ces fagots qui seront bientôt braise ; flammes pourtant dans quoi nos corps crépitent – bien assez chaud, le brasier, pour qu’on s’y abîme en hurlant si la suffocation n’a pas eu la clémence de nous éteindre assez tôt. Il y a encore tout ça, sur Furnaces & Pyre : ce sentiment que la musique veut effleurer une dimension cosmique, ou y plonger ; sans qu’aucun mot hors des titres n’ait à l’expliciter. Sans dérouler de concept, sans l’expliquer : cette impression que ce contact, que cette substance, n’a rien de… Déiste. Que cette conscience doit être instinctuelle ; grâce, effroi, rendue dans la matière sonore directement, en nommant au mieux les procédés, cette fois. Même pas d’Ange Inverse – on se rappellera de Los Sueños, Lucifer : mais déjà, là, c'étaient des lieux, des phases, des créatures naturelles qui faisaient les noms des index ; un parcours. Il est ici ramené à l’essentiel. En même temps, avec un son plus défini que jamais. Plus "gros", aussi, même si on entend bien que tout ça doit encore être enregistré à la maison – ou en tout cas certainement pas dans un studio suréquipé – avec soin, cependant, et ce sens de l’espace toujours aussi, encore mieux maîtrisé. Il y a cette fois moins de variations, très peu même – ça drone, vous dis-je. Mais une belle densité. Pour la première fois aussi, me semble-t-il : un objet sonore extérieur, cette prise au vent qui semble enregistrée en haut d’une falaise – est-ce un océan qu’on entend derrière ? – qui naît à la jointure des deux pièces pour durer jusqu’au bout de la seconde et dernière. Ça souffle sur ce qui rougeoie. La fumée est toxique et parfumée, narcotique. Bientôt s’y mêlera l'âcre des viandes grillées – humaines ou d’autres animaux. Pour le moment, toujours, rien ici ne se barbouille du toucher doux et tiède de la cendre future.