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Frank Lowe › Black Beings

  • 1973 • ESP ESP 3013 • 1 LP 33 tours
  • 2008 • ESP ESP 3013 • 1 CD digipack

cd • 3 titres • 60:21 min

  • 1In Trane's Name33:29
  • 2Brother Joseph4:46
  • 3Thunali22:09

informations

Enregistré en concert à NYC, mars 1973, par Scott Trusty.

La version chroniquée est celle de la réédition CD de 2008, avec les versions longues (intégrales) des morceaux joués lors de ce concert, dont l'édition originale du disque donnait des versions raccourcies.

line up

Joseph Jarman (saxophones soprano et alto), Frank Lowe (saxophone ténor), William Parker (contrebasse), The Wizard (Raymond Lee Cheng) (violon), Rashid Sinan (batterie)

chronique

Black Beings : du free qui part dans tous les sens – mais sans s'éparpiller, jamais. Le groupe expose le thème d'In Trane's Name – lyrique et brut, cousin des fanfares entendues chez Ayler ou L'Art Ensemble (Joseph Jarman, dudit ensemble, est d'ailleurs présent), des mélodies déchirantes d'Ornette période post-bop – une tourne, deux et puis c'est parti, ça part ! Vite, fort, dense. Les sax tout en éclats et stridences, la rythmique en éboulis et roue libre, en flot ininterrompu, grondant. Le souffle continu, qui ne s'arrête jamais de strier et chanter. Et puis soudain... Le violon. Discordant, électrifié, amplifié. Complètement furieux, exultant, le timbre métallique et la course toute en embardées, cabrements, imprévisible et cinglant. Le débat dure toujours, depuis la sortie de ce disque, pour déterminer s'il s'agirait ou non de Leroy Jenkins – crédité sous alias pour des question de contrats signés ailleurs, sous d'autres labels. L'histoire est crédible, à entendre ce qu'il joue, cet infernal archet – mais au fond, ce n'est pas l'essentiel. Ce qui compte, c'est la soudaine flambée qu'allume son solo – dans ce paysage, ce maelstrom déjà bien incandescent, qui plonge avec lui du côté de l'irréversible. Fulgurant épisode – passage à la wah-wah coupante et saturation rêche tout le long. Et qui repart, laissant place aux tambours qui entraînent ensuite à nouveau les soufflants, cette fois tous ensembles, en suraigus à la Marshall Allen (fidèle des Arkestra de Sun Ra) et houles d'orage qui grimpent et dévalent le reste du spectre, heurtent et nouent les fréquences. Ensuite... C'est tout le monde qui s'allie, violon, sax, batterie et contrebasse – ultime stade de ce déferlement sans pause sur plus d'une demie-heure, qui la distend et la compresse sans jamais... S'étaler. Retour au thème et CLAC ! Aussi brutalement que ça s'était lancé, ça stoppe.

Beaucoup des chroniques et commentaires, d'ailleurs, qui s'attachent à ce disque, voudraient se contenter de ce – fabuleux, il est vrai – premier morceau, comme si le reste, les deux autres plages, n'étaient que redites. Eh... Non. Car le free jazz part aussi dans d'autres sens – connaît d'autres directions, vitesses, régimes et dimensions. Et Brother Joseph – solo où l'on entend le musicien reprendre son souffle, bruyamment, entre les traits lancés drus, les phrasés plus alanguis, pose moins l'ambiance qu'il n’éclaircit l'atmosphère, pris entre les deux longues excursions en groupe. Et certes, Thulani, avec son ouverture chorale (de sax, encore), ses roulements, son basculement rapide dans l'improvisation collective, ressemble assez, morphologiquement, à In Trane's Name – en timbres, aussi, en dynamique. Mais celle-là ne s'y épuise pas. La matière est loin de se tarir, même – elle continue son expansion, ses incessantes transformations, mutations. Son cycle permanent, instantané et sans limite prédéfinie – des solides qui se font mouvement, élans et poussées cinétiques, et vice-versa. Bien sûr, des années après, l'histoire de cette musique passée, justement, dans l'histoire, étudiée, des dizaines, centaines de disques écoutées, la forme – ou relative non-forme – paraît plus familière. Mais pas figée, non, pas appliquée – par vertu de cette énergie que jamais ils ne semblent compter, pouvoir rationner, retenir. Par voie de cette maîtrise, pourtant, des trajectoires, des instruments – hors d'une virtuosité mieux rangée, plus arrangée. Et... Revoilà ce violon, qui se mêle ! J'ai sursauté, cette fois, quand il a sauté devant. Je l'entends qui vrille, lié aux autres, étroitement, au reste, à tout. J'entends en fond comme une mélodie qui ne cesse de se jouer – que les musiciens semblent se passer tour à tour sans prévenir, pendant que les autres recommencent ou poursuivent les sorties hors-guides, fuyant ornières et tracés réguliers. Quand plus personne ne la joue, même, cette mélodie, j'ai l'impression qu'elle y est encore – comme une harmonie qui tiendrait tout ensemble, alors même que ça tournoie, se troue et se dresse, se casse, explose encore et encore en son dur, pourtant inexplicablement fluide.

Black Beings : cinquante ans plus tard, ça continue de crier sans qu'en reste l'impression d'un vain embrasement depuis longtemps éteint, d'un exercice de style pris au hasard parmi tant d'autres. Il en est, oui – beaucoup – qui vus à distance lui ressemblent. Puis on s'approche. Et c'est le free qui jaillit. Dans tous les sens, encore, pas moins qu'alors. Il nous en faut bien cinq, au moins – de sens – pour encaisser tout ce qui s'y engouffre.

note       Publiée le mercredi 28 février 2024

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    Coltranophile Envoyez un message privé àColtranophile

    Sur ses tout premiers enregistrements (il y a le duo avec Rashied Ali la même année qui est un vibrant hommage à Interstellar Space mais déjà une autre voix), Lowe arrive en trombe. Peut-être plus jamais ne sera-t-il aussi intense. In Trane’s Name est un monument dans son genre. Mais je suis encore plus sensible à Thunali. Le contrepoint entre les deux soufflants étant bouleversant. ESP, en plus de restaurer les morceaux ici présents dans leur intégralité, a excavé une autre partie du concert, sous le titre « The Loweski », une suite bien acide qu’on aurait aimé savoir comment l’intégrer dans la continuité de ce Black Beings. L’éternelle tremblement de terre qu’est le Jazz est ici, en live justement: c’est l’irruption sans cesse renouvelée de « l’inentendu ».

    Message édité le 01-03-2024 à 15:28 par Coltranophile

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    Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
    avatar

    Ah ben Wright, je ne connais pas du tout sa disco... Un de ces noms que j'entends régulièrement sans être allé voir de plus près, sans raison véritable, en somme !

    Note donnée au disque :       
    Tallis Envoyez un message privé àTallis

    Hum, un coup à se prendre la porte d'entrée vers le jazz dans la tronche :o)

    Sinon, en recommandation, j'aurais bien vu aussi un petit lien vers Franck Wright...

    Message édité le 29-02-2024 à 08:41 par Tallis

    Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
    avatar

    "A offrir à vos petits neveux/nièces pour leur faire découvrir le jazz". (Ou pas) (Quoi que)

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    Tallis Envoyez un message privé àTallis

    Quel plaisir de le voir arriver sur Guts, celui-ci ! Grand album, fiévreux, énervé, combatif. Le free jazz dans ses plus beaux atours.