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Matana Roberts › Coin Coin Chapter Three: River Run Thee

lp/cd • 12 titres • 45:36 min

  • 1All Is Written10:06
  • 2The Good Book Says2:39
  • 3Clothed to the Land, Worn by the Sea3:24
  • 4Dreamer of Dreams4:33
  • 5Always Say Your Name1:53
  • 6Nema, Nema, Nema4:23
  • 7A Single Man O'War2:05
  • 8As Years Roll By4:05
  • 9This Land Is Yours3:44
  • 10Come Away5:26
  • 11With Me Seek0:57
  • 12J.P.2:23

informations

Enregistré et mixé à l'Hotel2Tango, Montréal, Québec, par Radwan Ghazi Moumneh du 3 au 5 juin 2014.

line up

Matana Roberts (saxophone alto, korg monotron delay, korg duo analog, voix, piano droit archambault du début du vingtième siècle)

chronique

On se pose. On plonge, se plonge, on est plongé. On est flotté, aspiré – avalé sous la surface. On est roulé – pas comme dans « escroqué », oh que non. Roulé comme remué – dans le lit de cette Rivière, oui, dans le flot. Elle court – elle nous happe dans son débit, son cour. Shenandoah, Mississippi, Potomac, Saint-Laurent. Matana Roberts continue de raconter. Poursuit le cycle – ce Coin Coin qui descend et remonte simultanément les courants, les lignées, depuis l'Ancêtre esclave affranchie, au-delà dans les deux sens, dans tous les sens. Gens de Couleur Libre – Chapitre Un – gardait dans sa substance, tout au long, quelque chose d'une explosion, ou de l'instant juste après. Les débris de ce qui s'était pulvérisé, de ce que l'histoire qui l'avait, les avaient amenées là – Matana, Marie-Thérèse Métoyer (dite Coin Coin, donc), la musique – laissés là comme limons, alluvions... Ou comme débris morts à jamais, pour d'autres, comme bois pour les brasiers. Tout y tremblait – de ne pas pouvoir contenir et de tenir pourtant ferme, de bouger toujours, fort. Un outre-free, percé d'accès (de possession, de lucidité, de cris, de saint-guy...) était son mode. Mississippi Moonchild – Chapitre Deux – exposait... Les suites. Les frottements de mondes continués – le, les « problématique(s) ». « Le Classique et le jazz » (encore, mais sur la forme : pas du tout pareillement « free ») - les majuscules de dignité refusés à l'autre quand l'une (la réputée « grande musique ») s'en voyait orné par principe, les artistes, interprètes refusés à l'entrée – parce que pas la bonne peau, pas le bon côté des cloisons de baraquements quand tout ne pouvait encore, actes rendus, scellés, appartenir qu'aux Maîtres.

Cet incroyable Troisième Chapitre est une Profondeur – du genre qui fout le vertige et frappe au point qui rend tout limpide, d'un seul éclat. C'est une Forme en soi – affranchie des formes (en tant que genres, styles, ensemble de procédés recensés sous un glossaire, en un solfège qui la limiteraient strictement à ça). C'est un montage – en cascades, en lancées concentriques, répétitions et ruptures, strates d'intensités qui se recouvrent et se font échos – physiques plutôt que rhétoriques. Le saxophone et la voix de Matana Roberts y sont encore – par elle, par lui, elle dit, psalmodie, chante, conte. En fragments et en fils longs, tenus de l'une à l'autre puis à l'autre, encore à l'autre de ces plages qui ne s'écoutent que d'une traite – d'une coulée, on y revient. Elle y joue d'autres choses, instruments – des synthétiseurs, de l'antique piano. Des samples s'y logent – des bouts de field recordings pris par Roberts elle-même dans le Sud (Mississippi encore, Louisiane, Tennessee) et à New York, des bouts de parole, d'un discours de Malcolm X ou d'une femme sans domicile, anonyme (Gertrude, last name unknown). La voix qui dit, elle aussi, sample, d'une autre manière – sans autre machine, je veux dire, que celle qui l'enregistre. Elle mélange – de bouts de chansons, de textes aux auteurs perdus ou célèbre, découpe et fait un nouveau d'un-seul-tonnant des bribes de domaine-public.

River Run Thee est extraordinairement saisissant. Perturbant, si l'on décide d'y fixer les dissonances, de l'entendre comme une sorte de débordement indus, un bloc de noise aux textures déchirées et faites pour déchirer. Et le disque, c'est certain, cette musique, cette forme de vie sonore, est parcouru de douleur, d'impossibles ravalés. Pourtant... Pourtant je le trouve, l'ai dès le début trouvé extrêmement... apaisant. C'est à dire : si l'on considère l'état d'apaisement non comme un endormissement mais, encore une fois, comme une soudaine lucidité, limpidité – qui peut survenir au cœur même des boues, des purées de pois les plus épaisses, à même les décombres, les agitations, les luttes les plus violentes. La matière sonore elle-même, ici, médite – ne se contente à aucune seconde de refléter le verbe, un narration linéaire ou même réarrangée en cut-ups. C'est autre chose – encore une fois, c'est une seule chose, en mille strates et mille mouvements, se refusant à la simplicité, à la simplification des contours mais absolument pas hétérogène. C'est d'une beauté unique – qui n'a rien à voir avec une contemplation esthétique distanciée (par ce que ça se fiche dans le corps) mais n'a rien, pas davantage, d'une embardée « cathartique », qui balancerait tout en paquets de trop-plein, le nez dans le guidon avant de passer à autre chose.

Difficile d'en dire plus, inutile de décrire platement. Lorsqu'on « y est », qu'on écoute, tenter de retranscrire cette musique, de la décrire, semble futile, forcément redondant. Quand on ne l'écoute plus, son absence rend insuffisante l'écriture - parce que sa présence est si pleine, si dense, si précise et si peu propre à ce qu'on puisse l'arrêter, la figer, la photographier, parce que son espace est si vaste, qu'elle est cet espace avec tout ce qu'il abrite et toutes les bouffées d'air vide et d'air chargé.

On voudrait que tout tienne en une phrase, un mot, un son. Ou en une multitude – comme celle-ci, River Run Thee. On cherche autre chose pour évoquer, au mieux, ce qu'elle a trouvé, ce qu'elle trouve, met, là-dedans, tout ce qu'elle en fait surgir – d'intriqué, de complexe, d'évident. « Oh why do we try so hard »... La question aussi, reste entière. « Oh... Why do we try so hard »... La question demeure et avance. « Oh... Why do we try so hard ? Because we should ».

note       Publiée le mardi 20 décembre 2022

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Tallis Envoyez un message privé àTallis

Avec un extrait de ce "Chapter Five" qui passe en ce moment sur... le club Jazzafip. Bon, évidemment pas les parties les plus free de l'album mais ça fait tout bizarre quand même !

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gregdu62 Envoyez un message privé àgregdu62

Un album où j'entre moins bien que les autres opus mais j'y reviens de temps à autre... jusqu'au jour où ?. Mais que vois-je ? Alors que je ré-écoute un de ses opus pré Coin Coin (le très bon "The Chicago Project" 2007) j'apprend que le chapter five de Coin Coin est sorti il y a quelques semaines !

Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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Oui, j'ai vu ça ! Raison de plus pour chroniquer le Capter IV avant, tiens.

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Tallis Envoyez un message privé àTallis

Le 5ème attendu pour septembre ! Joie !

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Tallis Envoyez un message privé àTallis

J'entends bien. Moi, pour l'instant, je finis toujours drossé sur le rivage après avoir été secoué dans tous les sens...

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