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Matana Roberts › Coin Coin Chapter Two : Mississipi Moonchile

cd/lp • 18 titres • 48:44 min

  • 1Invocation4:17
  • 2Humility Draws Down Blues:5
  • 3All Nations0:08
  • 4Twelve Sighed2:15
  • 5Spares of the World2:29
  • 6Secret Covens1:45
  • 7River Ruby Dues4:21
  • 8Confessor Haste1:25
  • 9Amma Jerusalem School4:11
  • 10For This Is1:04
  • 11Responsory3:50
  • 12The Labor of Their Lips1:49
  • 13Was the Sacred Day4:25
  • 14Lesson3:30
  • 15Woman Red Racked4:28
  • 16Thanks Be You4:25
  • 17Humility Draws Down New0:47
  • 18Benediction1:59

informations

Enregistré par Radwan Moumneh, les 28 et 29 novembre 2012, aux studios Systems II, Brooklyn NY.

line up

Tomas Fujiwara (batterie), Matana Roberts (saxophone alto, voix, direction), Thomson Kneeland (contrebasse, voix), Shoko Nagai (piano, voix), Jeremiah Abiah (voix ténor), Jason Palmer (trompette, voix)

chronique

  • alliances et achoppements

Mississippi Moonchile continue de parcourir – de suivre comme on épouse un cour, comme on s'y coule, comme on y résiste, aussi – les œuvres et descendances, les essaimages et échos de la vie de Marie-Thérèse Métoyer dite Coin Coin, l'esclave affranchie ; continue de raconter, par-delà et dans les corps autour, dans et hors les cercles (familiaux, familiers, intimes et de toutes sortes de commerces), l'Histoire, portée et contrariée dans les histoires, les fragments, les liens choisis et les fatalités. Le titre dit : Mississippi – la grande artère, l'irrigation du Sud ségrégué, la grande ligne de fuite, aussi, route de boues, de limons, d'alluvions, rives en rampes de constructions. L'orphéon lycéen, sur la pochette, arbore le nom : Melrose – le même que prendra, dans les années 1880 en Louisiane, la plantation (auparavant nommée Yucca) acquise par le fils, léguée au petit-fils de Marie-Thérèse... Le disque, cette fois encore, s'ouvre sur une « Invocation » – et l'on se souvient ces moments terribles et magnifiques, sur Gens de Couleur Libres, où l'Ancêtre prenait possession de la narration, de la narratrice, venait la visiter, plutôt, parler, respirer à travers sa chair, ses mouvements, investissait la matière musicale, sonore, résonante, le corps, les corps de l'orchestre. Cependant, cette fois, cette ouverture, c'est... Autre chose. D'autres frottements, affrontements, grincements et concordances, d'emblée. Une frontière plus visible – de tabous, d'interdits perpétrées, perpétués dans la culture, ses instances, ses marchés, dans les divertissements et ouvrages, les jeux et les sacrements ; les métissages planqués, réduits en étiquettes, les créolisations niées...

Mississippi Moonchile commence... jazz – plus défini, cette fois, franchement. Même pas vraiment « free », au début – piano ciselé et sax délié. Et tout au long se maintient cette couleur, cette esthétique. Un jazz aux lignes mélodieuses détachées, nettes ; « gospélisantes », souvent, certes – jouées sans chorale, comme par les petits ensembles des débuts de cette musique, de la période, en tout cas, où l'on commençait à l'enregistrer, comme ensuite dans toute la « tradition », la « branche » qui de là fera florès à travers swing, bop etc., formations serrées mais à l'articulation, aux articulations souples. Mississippi Moonchile, aussi, très vite, est traversé d'un autre courant, d'un autre chant : cette voix « lyrique classique », de ténor – qui semble vouloir à la fois pénétrer, se mêler à celles de l'ensemble, et l'enjamber, le faire sortir de cette voie tracée, contrarier tout autant que conjoindre sa nouveauté d'alors (celle donc du jazz, dans l'art, l'histoire, la vie publique, domestique, collective et casuelle, la casuistique en Amérique), le caractère entier, l'azimut multiple et singulier de cette musique. Oui : cette voix qui pourtant, comme le reste, semble circuler fluide, défier autant qu'elle les manie en toute maîtrise les lois de l'équilibre... Cette voix, là, instaure comme une... Tension. Un non-dit qu'elle clame et dissimule. Cette histoire double, peut-être, que répéteront sans cesse les « grands et grandes », les icônes, de leurs débuts, de leur venue au jazz – Mingus, Marie-Lou Williams, d'autres... L'inaccessible « grande » musique – les orchestres classiques (encore) verrouillés. L'excellence officielle, le prestige, l’accessit déniés – les enseignants et institutions qui les écartaient, les décourageaient, les lieux bien souvent séparés où pouvaient jouer, et venir en spectateurs, citoyens blancs ou noirs (ou plus largement « de couleur », comme ils disaient donc). Le jazz, dans tout ça, pris à la fois comme autre voie et comme contournement – ces « empêchements » déjoués de manière oblique, l'héritage « classique », les compositeurs et répertoires transformés autrement, passé ailleurs, dans ces nouvelles musiques.

Mississippi Moonchile, donc, ne tranche pas ces questions. Elle, Matana, eux, l'orchestre, choisissent de tout mêler, superposer, « arranger » – manière d'oratorio, cuivres qui s'égaillent, d'harmonies claires en vols libres simultanés, parties parlées cette fois encore, presque-spiritual, qui s'effusent hors d'une fatigue-sourdine qui voudrait l'étouffer, au bout du jour (Woman Red Racked) – mais en laissant, j'insiste, visibles, sensibles, les tiraillements des temps où « tout ça n'allait pas de soi ». Ces pièces ne taisent pas qu'alors régnait la hantise de l'inconciliable, de l'irréconciliable – jusque dans les tentatives. La composition ne nie pas les contradictions dans les travaux même de certains « passeurs », l'ambiguïté de la gloire finalement accordé à certaines « figures ». Qu'on pense au baryton Paul Robeson, à la contralto Marian Anderson, parachutés « ambassadeurs mondiaux de la culture américaine » après s'être vu des années durant refuser l'accès aux scènes des opéras nationaux, acclamés parfois même – « au pays » et à l'internationale, alors qu'on continuait à leur fermer ces portes, qu'une administration ou l'autre, une police ou l'autre, ne cessaient pas d'entraver leurs carrières, multipliaient les tracasseries... Qu'on se dise bien, surtout, que Mississippi Moonchile ne « parle pas » – surtout pas ! – que de musique, de la, des cultures comme domaines séparés de la vie, du concret, même comme de simples signes, des œuvres comme indices... Non : la musique de Matana Roberts – comme celle d'autres sociétaires de l'AACM avant elle – est toujours un aspect seulement de la vie à quoi elle se rattache, dont elle participe ; elle « dit » justement parce que ce qu'elle raconte ne se met pas « au-dessus » des réalités de quoi elles découlent – présentes ET passées. En les racontant, elle en reprend la portée, la mesure et se l'approprie, mais jamais, je crois, elle ne se laisse aller à la prétention d'une transcendance qui la... Désamorcerait. Toujours, l'ouvrage que déclinent ces chapitres – Gens de Couleur Libres, ce Mississippi Moonchile, River Run Thee puis Memphis, les volets suivants (à ce jour – on se rappellera que le cycle devrait selon la compositrice se continuer en douze tomes au total) – « fait avec » ; les lignées fortes, les dépassements ET les horreurs, les spoliations ; l'historiquement impardonnable ET les alliances réelles, pragmatiques, quotidiennes... Cette musique, ce cycle, ces récits, s'élèvent – animés d'une grandeur qui ne renie rien, qui est sa vivacité même, qui dit toujours « oui, nous sommes, je suis ; nous devons ; nous n'avons pas le choix ; nous ne pouvons que choisir, on n'échappe pas à ça, sans quoi on abandonne et sombre »... Alors Coin Coin Chapter Two : Mississippi Moonchile narre des acquisitions, des terres achetées et le dur, dur labeur pour les faire fructifier – pour, pragmatiquement, faire pousser le tabac, nourrir avec le produit de la vente celles et ceux qui hériteront de ces terres ; l'effort y vibre, aussi, de tout ce qui doit se maintenir comme autre chose qu'un à-côté – les orchestres donc qui se forment, les poèmes et biographies, les récits qui se disent, pour que ces luttes et ces accomplissements ne se flétrissent pas en simples succès de trafics, ne se figent pas dans les chiffres des bilans comptables, les lignes rigides des plans de cadastres. Des quatre disques jusqu'ici parus, ce Chapitre Deux est celui, peut-être, où « les problèmes » – les contradictions, encore, dans ce qu'elle rapporte ; la dissonance qu'exposent, exposèrent (exposeront?) en s'y arrachant, les résolutions – produit les formes les moins « hybrides », où les « composantes » se déchiffrent le mieux, disais-je, se distinguent. Peut-être parce que le moment qu'il rapporte, qu'il habite (et réciproquement) est celui d'un basculement encore indécis, encore entravé par les emprises – la ségrégation, donc, ses réalités toutes matérielles autant que morales, spirituelles, mentales. Peut-être que le lieu où s'ancre ce chapitre – ce Mississippi d'après Dixie – est-il, fut-il de ceux où les lois, plus longtemps qu'ailleurs, n'avaient que très théoriquement abrogé, abolis les vieux pouvoirs antagonistes. Certainement : c'est de ça aussi – de s'en extraire, de retrouver là-dedans la porosité des choses, qui font qu'elles peuvent muter, se dépasser, qu'on puisse ne pas s'y réduire à son tour en chose – qu'il est ici question.

Toujours est-il qu'à mon oreille, ce disque, des quatre, est celui où les courants – qui le tendent, l'animent – semblent se contrarier le plus, s'affronter... Se « coller », aussi, s'assembler en pièces aux soudures saillantes là où, dans les autres disques, se joue davantage l'indiscernable, où le non-explicite de ce qui s'y confond fait plénitude, substance entière, à part et connectée, liée mais autonome. Ici, j'entends des cassures et combinaisons qui se donnent comme combinaisons et cassures ; le chant lyrique, à vrai dire, me semble chaque fois comme étranger – en place, à sa place, certes, mais parce que comme accueilli dans cette musique, en hôte pas encore grandi là, pas encore enraciné, accepté dans le lignage mais comme encore, comme un peu gêné d'avoir à y trouver ses marques. Son évidence, disons, dans cette musique, ne m'est pas apparue tout de suite – là où tout, dans les autres volets, m'a toujours saisi d'emblée comme parfaitement articulé, dans sa complexité. Il reste, des quatre, celui qui me touche, me « parle » le moins. Je n'en méconnais pour autant pas la force. J'aime, aussi, que s'y continue cette absence de cynisme qui jamais ne tourne en « naïveté » – dans la dureté des réalité de ce que s'y rapporte autant que dans les victoires qui s'y disent, sur l'adversité. J'aime – sans y revenir autant qu'aux autres ; parce qu'aussi ceux qui « l'entourent » n'ont jamais cessé d'autant me remuer – ce que ce constat qu'il formule, à plusieurs reprises tout au long de sa coulée, donne comme tel-quel autant que comme « malgré » (malgré les morts, malgré la saloperie, malgré l'étranglement de ce qui s'était ouvert, quand s'était clamé le bris des chaînes...). Tout simplement : Mississippi is a beautiful place... Sans-doute, bien-sûr. Mais le Fleuve n'est pas l'État – et on eau porte ailleurs, à travers, en longeant les frontières.

note       Publiée le vendredi 23 avril 2021

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    Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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    Oui, c'est vrai que je ne l'ai pas mentionné mais la pianiste est assez fantastique, sur celui-là - c'est même sans doute un des éléments, ce qu'elle fait là-dedans, qui m'a fait revenir au disque alors que j'avais à la base beaucoup moins décliqué avec celui-là qu'avec les trois autres... (Les suivants, on en cause bientôt, d'ailleurs).

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    Tallis Envoyez un message privé àTallis

    Yep, même note et même impression, pour le coup. Il est bon - voire très bon par moments - mais c'est celui qui me touche le moins. Probable que l'intégration du chant lyrique, assez déstabilisante pour moi, joue beaucoup dans cette appréciation. A contrario, Shoko Nagai est formidable au piano !

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