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Bone Thugs-N-Harmony › E. 1999 Eternal
- 1995 • Ruthless Records 88561-55-39-2 • 1 CD
cd • 17 titres • 68:29 min
- 1Da Introduction4:25
- 2East 19994:21
- 3Eternal4:03
- 4Crept and We Came5:03
- 5Down '71 (The Getaway)4:50
- 6Mr. Bill Collector5:01
- 7Budsmokers Only3:31
- 8Crossroad3:28
- 9Me Killa0:55
- 10Land of tha Heartless3:55
- 11No Shorts, No Losses4:52
- 121st of tha Month5:14
- 13Buddah Lovaz4:43
- 14Die Die Die2:52
- 15Mr. Ouja 21:16
- 16Mo' Murda5:44
- 17Shotz to da Double Glock4:42
informations
Enregistré par Aaron Connor et Anne Catalino au Trax Recording Studio, Hollywood, Californie. Mixé par Aaron Connor, DJ U-Neek et Tony C aux studios Cat Productions, Hollywood, Californie, et Sound City, Van Nuys, Californie. Produit par DJ U-Neek. Producteur exécutif : Eazy-E.
line up
Bizzy Bone, Wish Bone, Layzie Bone, Krayzie Bone, Flesh-n-Bone, DJ U-Neek
chronique
Bone-Thugs-N-Harmony... Posons l'ambiance : références ou pas aux clichés de films d'horreur (Mr. Ouija 2), au fameux mythe de la rencontre avec le Diable au croisement (Crossroad), malgré les récits façon journal d'un serial killer (Me Killa), ce n'est pas de l'horrorcore. Pas vraiment. Plutôt : ça emprunterait tout ça – l'imagerie glauque, le son rampant façon bande-son poisseuse, l'auto-fiction qui compte les morts... – dans une autre optique, à la fois plus brutale (frontale) et plus ambiguë. L’ambiguïté : parce que la frontière est moins nette, ici, que chez Gravediggaz et consorts – pas de masques, mais on ne sait pas si les histoires qu'ils dégoisent déguisent ou non le vécu, embellissent les détails dans le sens d'un rendu plus « graphique », emballant la routine d'embrouilles potentielles avec les flics ou d'autres habitants (éventuellement mortelles – on est au États, hein) en histoires épiques, fantasment les flamboiements sur les dégradés ternes, les patchwork ciment-béton-asphalte. Le brutal : parce que comme ça c'est encore pire – qu'en travaillant la plume, le flow, la forme, ça fait ressortir encore plus le sans-issue des vies d'où ça sort, des quartiers où ça se fomente. Ces coins où tous les jours c'est Halloween – mais avec du vrai sang, des « tricks » sans « treats », la lame ou le pétard (toutes acceptions) à la main plutôt que le sac de mars, de dragibus, de langues-qui-piquent. Un peu comme chez Heltah Skeltaz, dans leurs moments les plus parano-weed (décidément), les plus à cran (I'm not sure anymore (mooore), who's knockin at my door (doooor)... Treat or Freak, allez). Un peu comme les Geto Boys, dans leurs histoires les plus bad-trips. Du cinoche, oui – mais avec une vision pas vraiment Hollywood. De la bobine d'exploitation, peut-être bien – du slasher mais gangsta, la cagoule du braqueur à la place du masque de hockey.
Bon... Et ce groupe, aussi, comme les précédemment cité : c'est exceptionnellement FUNKY, dans sa perspective ghetto-gothic ! Comme le G-Funk plus à l'Ouest – c'est d'ailleurs ce crevard d'Eazy-E qui allonge la monnaie pour le disque, comme pour l'EP précédent, Creepin on ah Come Up. (Crevard et crevé, de surcroît – l'Eric ayant calanché quatre mois avant la sortie... Crossroad lui est d'ailleurs dédiée, tiens). Avec ces même synthés fil-de-sucre – ceux qu'on entendait alors partout chez les types de la côte ouest – de Snoop à Tupac en passant par Warren G. Mais Cleveland n'est pas L.A., pas Compton – et le groove n'est pas le même. Plus lourd et plus jazzy, tout un. La fausse famille Bones (famille décomposée ?) sample les Isley Brothers, Isaac Hayes ou le Rubber Band de Bootsy Collins plutôt que de boucler du disco-boogie. Le son a quelque chose de moins chromé – de plus soul, pour que les Chants de l'Ordinaire Damnation sonne plus sinistres encore. Fumées ou pas : pas de place à l'enchantement. Les rares moments où la chape s'allège un peu – 1st of da Month, qui parle précisément de claquer ses alloc chômages à ladite date pour se procurer de quoi se rouler des blunts bien gras – font comme des trouées dans le brouillard, la purée de pois ruminée ailleurs, de bout en bout. Et pourtant...
Pourtant, disais-je : ça CHANTE. Les Bones – les gusses au micro, là-dedans, se sont tous renommés XX-bone, donc ; façon Ramones mais en hoodies et t-shirts aux flocages dorés plutôt qu'en perf' et franges graissés – ont ces flows si particuliers, balancés presque toujours (… seulement presque ?) sur trois temps, hyper-speedés et parfaitement coordonnés, harmonisés, questions-répons et rebonds divers, passages-éclairs des relais. Une manière presque... Allez, j'ose : presque GOSPEL. Du moins, si on veut nuancer : nourris de tout ce qu'une certaine soul (encore elle) devait à ces chants d'église, d'assemblées, de culte – dans la brillance de l'exécution, la plasticité du débit, pour le sens des variations sans fin sur un ligne déroulée sans le moindre à-coup, l'acrobatie comme enluminure à la course de fond – et qui jamais ne fait trébucher le coureur.
De fait, c'est long, ce disque – presque une heure dix... Mais ils feront pire avec le suivant (The Art of War, un double-CD – alias l'une des manies les plus plombantes du hip-hop US vers le milieu/fin des années 90). De fait pourtant : les mecs nous retiennent là-dedans – foutaises incluses, malaise flottant, brio et bassesse bien pétris, mêlés dans le brouet. Peut-être pas un chef d’œuvre – on s'en cogne, ça, comme toujours. Et peut-être que si, d'ailleurs. Très certainement : un truc unique, ou pour le moins pas commun. Cinq-six branleurs à peine sortis de l'adolescence (qui en tout cas en ont l'air), la tronche toujours calée entre séries Z en VHS et faits divers sordides de proximité ; drivés, lancés dans le business par une teigne en fin de vie – mais la gueule toujours aussi grande et vivace et sale (Eazy, encore) ; qui dégainent cette manière de cantique-de-la-racaille tout en finesses (musicales) d'abord insoupçonnables, sous l'effet « bloc », sous l'effet « gros bout d'opacité jeté là tout vif ». Bullshit et goût des effets de saison ou pas, voilà : reste que plus de vingt-cinq après, le truc continue de s'instiller vicieusement dans les voies respiratoires, de choper par les tempes, le cou, le poitrail, de peser sur le souffle. Et de l'allonger, en même temps – d'étirer le temps de inhalation/exhalaison sur son pouls sourd-claquant, feutré-clinquant.
Pas mal pour des seconds couteaux ? Eh... La force de ce genre de cisailleurs – Jason Vorrees, Michael Myers etc. – c'est aussi de n'avoir l'air de rien, d'abord, de péquin mal costumés. Seulement, l'engeance, à l'usage : ça se révèle increvable. Ça reste debout alors que les têtes tombent. Mais pas d'horrocore, ici, je persiste. Un autre genre de cauchemar : sournois, récurent – qui suinte des murs comme les bruits de la rue plutôt que de rebondir comme un écho sur le fond des fosses des cimetières. Ça vous indique plutôt, ça vous récapitule les moyens et les laps multiples, les occasions qui guettent à chaque coin de bloc de s'y retrouver illico, six pied là-dessous. Ça vous prévient, vous averti (sens des fatalités compris, et désir de planer au-dessus de ça), ça vous raconte par où on s'y retrouve, plutôt que d'en faire surgir de plus abstraites fariboles à croque-mitaines.
Dans le même esprit, Dioneo vous recommande...



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- Dioneo › Envoyez un message privé àDioneo
Ouep, First of da Month c'est LE tube (mérité) des mecs ! Et la respiration (alourdie par la weed) de l'album... Pas "déplacé" sur le disque mais vraiment pas emblématique de l'ambiance générale, voilà. Cool que tu te sois collé à cette écoute en tout cas, ça fait plaisir de lire un tel avis détaillé !
Message édité le 24-09-2024 à 19:57 par dioneo
- Note donnée au disque :
- Copacab › Envoyez un message privé àCopacab
Enfin écouté, je m'attendais à beaucoup de choses mais pas à un telle sincérité je crois. L’album est terriblement triste aussi, autre élément de surprise parce que je connaissais surtout 1st of the month (qui est toujours un tube admirable). L'album est long et dense, j'accroche un peu plus aux morceaux torves qu’aux autres pour le moment (crept and we came…) mais il va falloir y revenir. Malgré ta chronique c'était une écoute surprenante, je me doutais qu'il y avait plus que de l’entertainment mais à ce point… pour conclure sur mon tropisme de Memphis, Bone Thugs n'ont en fait pas grand chose à voir et ce n'est pas du tout une question de joie exprimée et/ou sous-jacente effectivement. L'impression que ces mecs ne jouaient pas (au film d'horreur ou aux gangsters même si l'ambiance est très thug), il n'y a que Children of the Corn qui mettent autant leurs tripes sur la table à Memphis finalement (de manière beaucoup plus artisanale bien sûr). L'expression est sophistiquée et unique en son genre mais rien n’est masqué derrière des effets de manche…
- Dioneo › Envoyez un message privé àDioneo
Du coup c'est moi qui le réécoute. Le côté "trop lumineux", c'est vraiment... Une sorte de trompe-l’œil, je n'en démords pas ! L'ambiance est bien glauque, par en-dessous, derrière les flows chantés "brillants", les harmonies et les accroches mélodiques obsédantes (le synthé-flûte vaguement "asiatisant" sur Eternal, comme ça se colle au cortex, le truc...). C'est AUSSI plastic et néon, c'est sûr, cette musique - mais avec tout ce que ça peut induire de malaise, à force, ces couleurs en aplats chimiques lissés (avec des effets de miroir pour faire profondeur/perspective).
Message édité le 27-08-2024 à 17:44 par dioneo
- Note donnée au disque :
- Copacab › Envoyez un message privé àCopacab
Pour rajouter ma petite pierre sur cette discussion sur les flows ternaires : le succès de Bone Thugs a rendu une partie de la scène de Memphis furibarde, persuadé qu'ils étaient de s'être fait voler leur technique de flow. Prétendu vol sur lequel je ne me prononcerai pas, je doute que les tapes de Three-6 & co circulaient à Cleveland en 1995 mais allez savoir ? Il y a à ma connaissance au moins deux morceaux diss (au contenu aussi hardcore qu'on peut l'espérer venant de cet espace-temps là) : Live By Yo Rep de Three-6, et Thuggish Ruggish Bustaz de Tommy Wright III. Aussi excellents l'un que l'autre d'ailleurs, la haine leur allait décidément bien au teint... Je me note d'arrêter de procrastiner l'écoute de ce E. 1999 Eternal au passage, toujours eu peur de leur côté trop "lumineux" mais ta chronique et mon propre coming-out R&B m'invitent fort à me pencher dessus.
- Dioneo › Envoyez un message privé àDioneo
Ouep ! Presque crunk avant l'heure, je dirais, très sud poisseux, en effet... J'ai longtemps cru aussi qu'ils étaient de ce coin, moi aussi. Mais non. En passant je me rends compte juste là que Zapp & Roger, que je cite dans la chro et que je croyais californiens sous prétexte que toute la clique G-Funk en raffolait étaient en fait... Eh bien eux aussi de l'Ohio ! Chaipas... Entre ça, les Ohio Players (et leurs pochettes d'un bon goût toujours parfait)... Doit y avoir un micro-climat, je vois que ça !
- Note donnée au disque :