Michaël Levinas (b. 1949) › Par-delà

Ce disque rassemble diverses pièces de Michaël Lévinas, composées entre 1974 et 1994. Elles donnent un assez bon aperçu de son univers sonore. Le recueil "Ouverture pour une fête étrange..." se concentrait principalement sur les recherches spectrales tirées du mélange entre sons concrets échantillonnés sur bande et effets acoustiques réalisés à partir d'instruments "normaux". Ici, l'électro-acoustique a quasiment disparu (à l'exception de la courte pièce "Voix dans un vaisseau d'airain") et les expérimentations sur le spectre sonore et sur des harmoniques nouvelles ne se font qu'à base de formations vocales ou orchestrales "réelles". Peu importe au fond, le résultat est là, l'univers de Lévinas toujours présent, même si l'ensemble n'est pas aussi immédiatement expressif et suggestif que le recueil d'Ouverture... "Appels" est dominé par ces invraisemblables mugissements de cors, que l'on retrouve si souvent chez Lévinas. Explosion spatio-temporelle d'instrumentistes en délire, cette pièce voit tous ses sons passer par le timbre d'une caisse claire qui vibre (les batteurs connaissent bien ce phénomène), et qui sont ainsi altérés, "salis". Cette jungle instrumentale est poursuivie dans "Voix dans un vaisseau d'airain, "Chant en escalier"" : une voix féminine s'y rajoute, escalade des échelles d'intervalles avant de se casser la figure. De même que dans le "concerto pour piano-espace n° 2", tous les sons sont ici passés à travers la caisse de résonnance d'un piano dont les cordes vibrent, alors que se surajoutent les samples d'un vieux piano, désaccordé et fantômatique. Le terme "spectral" convient à cette musique dans les deux sens qu'on peut lui donner... "Les réciproques", pour 12 voix solistes a cappella, débute de manière assez extraordinaire, puisque les voix s'y font entendre par le biais de cazous, donnant l'impression d'un énorme bourdonnement de ruche. Là encore, c'est un jeu de timbres aux couleurs insolites, une recherche d'harmonies nouvelles. Puis les voix "reconnaissables" arrivent, bientôt suivies par d'étranges sifflements, des sons gutturaux profonds... dans une polyphonie extra-terrestre assez envoûtante. "Diaclase" est destinée à un quintette de cuivres, dont l'alliage de timbres est si cher au compositeur. Il s'agit d'une étude in situ sur "les phénomènes acoustiques de battement et de spatialité" propre à un tel ensemble. Plus austère, cette pièce met en oeuvre des dispositifs expérimentaux tel que le jeu pavillon contre pavillon, le jeu contre le timbre d'une caisse claire (comme dans "Appels"), l'utilisation d'échos, de micro-intervalles... Enfin, "Par-delà", qui donne son titre au présent recueil, est une oeuvre d'ampleur écrite, une fois n'est pas coutume, pour grand orchestre. Elle reprend et synthétise nombre de procédés déjà employés par Lévinas dans une forme qui donne au tout une grande cohérence, l'impression de basculer dans un monde sonore sombre, malsain, dont la filiation avec le Ligeti d'Atmosphères et du Requiem semble évidente (d'ailleurs, le fait que ce soit Michael Gielen qui ait créé cette oeuvre n'est certainement pas un hasard). Une pleine réussite en tout cas ; une plongée de vingt minutes aux Enfers.