Le monde (occidentalisé du moins) n’est qu’un quignon d’astéroïde de rien du tout paumé dans l’univers, ses frontières dessinées avec des crayons pas très rigolos sur des cartes dessinées ne retiennent pas grand chose en réalité… Tant mieux. 1982, USA, les Swans se forment, avec un line-up à moitié originaire d’Europe. Un an auparavant, Belgique, TC Matic est créé, eux-mêmes précédés de deux ans par Killing Joke au Royaume-Uni (ça fait un peu film d’espionnage, hein ?). Paf, 1984, c’est au Portugal que ça se passe, avec la constitution de Mão Morta, de leur propre aveu très influencée par les Swans (avec même un mot d’encouragement du bassiste originel, Harry Crosby). Il y avait quelque chose dans l’air, c’est certain, une tendance à pousser le post-punk dans ses retranchements obscurs. Evidemment, les Américains ont été les plus extrêmes en la matière, point de telles lourdeurs chez les Portugais. Il y a même un aspect groovy dans certaines de leurs mélodies (l’excellent ‘Oub' lá’, funk tribal dans l’intention) mais version métallique, froide, avec des structures répétitives créant une forme de transe. Le reste, c’est le chant qui le développe, dans des tonalités désespérées et rageuses (‘E se depois’), rampantes et glauques (‘Carícias Malícias’). Parfois, le mimétisme avec T.C Matic est stupéfiant (‘Oub’là’ qui pourrait avoir été chanté par Arno), on songe même à Gang of Four pour le balayage métallisé de certaines grattes mais selon les compositions, le groupe aime aussi à ramper sur un sentier de glaise (l’effrayant ‘AUM’, son beat funèbre soutenu au piano et aux choeurs tandis que les guitares malsaines s’épandent le long du sol comme des brumes toxiques). Le travail remarquable et complémentaire des deux guitares permet des étirements entre froidure et torsions noisy, sans pourtant négliger de fabuleuses lignes mélodiques. L’album s’articule donc entre ces deux pôles, le marécage et la friche industrielle, unis en une forme de pulsation primitive urbaine et, ultime qualité, dévoile la beauté et la pertinence de la langue de Pessoa dans pareil exercice. Il y a des doublons, me signale-t-on; c’est simplement que l’édition cd est enrichie des pièces de la première démo, plus que correcte niveau sonore et qui offre des niveaux de lecture intéressants desdites pièces avant leur passage au goudron pour la sortie LP.