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Diabologum › #3

  • 1996 • Lithium 7 24384 24442 • 1 CD
  • 1996 • Lithium 3 versions limités à 1000 ex. chacunes • 1 CD digipack
  • 1996 • Lithium limité à 500 ex. • 2 LP 33 tours

cd • 10 titres • 42:36 min

  • 1De la neige en été
  • 2Il faut
  • 3Les angles
  • 4Une histoire de séduction
  • 5À découvrir absolument
  • 6365 jours ouvrables
  • 7Dernier étage
  • 8La maman et la putain
  • 9Un instant précis
  • 10Blank Generation

informations

Enregistré et mixé par Stéphane Teynié et Diabologum au Studio Black Box, sauf 'Une histoire de séduction' enregistré en huit pistes chez Zolt et 'Blank Generation' enregistré en direct sur DAT

Les versions digipak et vinyle contiennent les bonus tracks instrumentales suivantes : 11/ Tie-break pour bandini - 12 / ||-----||

line up

Diabologum

chronique

  • noisy-rock schizophrène

Dans les temps pré-civilisés, une pratique de torture courante était l'écartelement. Vous en connaissez sans doute le principe : un homme est attaché et encordé par ses quatres membres (le cinquième étant à votre discrétion) à quatres robustes chevaux. Lorsque le jeu commence, les quatre chevaux se mettent à tirer de toutes leurs forces dans des directions opposées, jusqu'au jouissif mutilage final du cobaye. Une amusante variante de la chose consistait à faire couler du plomb bouillant dans les plaies de la victime, lorsque ses parties commençaient à s'en détacher. Je ne sais pas si cette pratique existe encore de nos jours (avouons que même pour nous autres, fans de sombre et d'expérimental, c'est un peu vache quand même), toujours est-il que c'est cette recette que les toulousains de Diabologum semblaient retenir pour la composition de leurs albums. Leur troisième et dernier disque "#3" est finalement le point de rupture de l'acte sus-cité, celui où les différents membres qui composaient le corps musical de leur rock désaccordé commencent à se distendre, se tordre et finiront par se déchirer. De disque en disque, les Diabologum avaient pour ambition première de se renouveler et de donner sujet à réaction, un pari qui s'imposera comme amplement réussi. Décrire la musique de la formation n'est pas chose facile, pour la simple raison que sa décortication risque de vous en désinterresser totalement (n'est pas Sheer-Khan qui veut !). Posons #3 en disque de rock français avant tout, comme en atteste son titre d'ouverture 'De la neige en été'. Dès 'Il faut' cependant, les pistes sont brouillées : vocaux non plus chantés mais parlés, guitare tordue passablement dissonnante, riffs laborieux et notes louches par un guitariste halluciné, influences hip hop voire trip-hop de plus en plus présentes ('Les angles'), musique de plus en plus épurée et schizophrène ('Une histoire de séduction'), paroles à la fois glissantes, véhémentes et étranges, jusqu'au point d'orgue 'La maman et la putain' ou un long monologue tiré du film de Jean Eustache du même nom est Diabologumisé via piano agonisant et guitares en cloque. On navigue ainsi d'un simple noise-rock vers des ambiances barrées (mais non pas complexes) et maladives, de titres évidents vers d'autres à la difficulté d'accroche beaucoup plus prononcée ('Une histoire de séduction'). Pourtant, jamais le processus de composition ne tend vers l'incompréhensible, la formation s'en défend, et l'expérimental pur n'est pas au programme, seuls les étranges chemins empruntés par le groupe demanderont un clair temps d'adaptation (surtout pour les plus metaleux d'entre vous), en particulier le chant funambule, à la frontière du phrasé rappé et de la poésie malsaine. Ce troisième et dernier disque de Diabologum est incontournable, c'est un monument morose et suspect à vous plomber votre humeur des grands jours et à vous flanquer des nausées post-gestationnelles. Les Diabologum n'iront malheureusement jamais plus loin, puisque les deux hémisphères de la formation Arnaud Michniak et Michel Cloup tenteront de poursuivre l'expérience chacun de leur côté avec Programme et (justement) Expérience, afin d'explorer respectivement les facettes les plus hip-hop et les plus rock de feu Diabologum. Un ovni qui n'a pas pris une ride malgré l'approche de ses dix ans, 'À découvrir absolument' !

note       Publiée le samedi 24 janvier 2004

chronique

Diabologum #3. C'est mon disque rock, punk, heavy, expérimental, minimaliste, techno, et que sais-je encore. C'est mon film préféré et sa bande-son. C'est une musique qui alternativement me brûle et me glace. C'est "mon" disque : j'aime l'idée que peu de gens le connaissent ; il reste un objet confidentiel, un secret que l'on ne s'échange que de bouche à oreille d'initiés. Il y a ceux qui "savent" et qui ont ça dans leur vie. Lorsque j'ai écouté cette chose en 1998 (j'avais 19 ans), deux ans après sa sortie, sur le conseil d'un ami (grâces lui soient rendues), ce fut la plus grande claque musicale de ma vie –et je n'étais pourtant pas né de la dernière pluie – déjà, Beatles, Velvet, Floyd, Roxy Music, Clash, Pistols…n'avaient plus de secrets pour moi ; les grosses guitares de King Crimson, de Sonic Youth, ou de Nirvana, je connaissais déjà ; le punk outre-atlantique, façon Heartbreakers ou Richard Hell, j'y avais touché ; j'écoutais avec délice les minimalistes américains, vrais re-découvreurs occidentaux de la "transe" (Steve Reich, Philip Glass) et les collages sonores de Pierre Henry (ou de Nine Inch Nails), les dissonances de Charles Ives…bref : je ne me considérais plus comme un novice. Mais Diabologum #3 fut mon disque de révolte à MOI, celui qui semblait avoir tout compris de cette grisaille sans avenir que nous réserve la vie après le bac et quelques années d'études, que nous réservent la médiocrité et le conformisme ambiants dans ce pays et dans le monde, "notre" monde. Cependant, cette révolte nihiliste, qui veut tout mettre à bas, n'est plus celle des Pistols: nous sommes déjà trop lucides, trop désabusés – la partie est perdue d'avance – alors notre rage, plutôt que de la hurler en nous couvrant de ridicule, nous la débitons froidement, avec maîtrise. Nous ne voulons pas renverser le monde – nous travaillons à nous fabriquer le plus parfait des cercueils et à le refermer finalement sur nous-mêmes, en "adultes". Mais avant, vous allez devoir vous entendre dire vos quatre vérités – et elles vont jaillir comme la lave d'un volcan, avant que celui-ci ne s'éteigne définitivement. D'abord, ce disque, il ne s'offrait pas à n'importe qui : il était paru avec deux pochettes n'indiquant ni groupe ni nom d'album. L'une d'elles disait "J'ai perdu sa trace" et l'autre "Ce n'est pas perdu pour tout le monde". Et ça, déjà, ça me plaisait beaucoup. Les deux portaient la photographie en noir et blanc d'un ciel gris : parfait pour annoncer la couleur. (Depuis ce temps, une pochette plus sobre et plus explicite est apparue, dommage…) Ce groupe, au nom ridicule, peu d'entre nous en avaient déjà entendu parler, et même pour les rares qui connaissaient, il n'y avait pas vraiment de quoi s'extasier : un premier album sympathique, qui contenait déjà l'idée d'une récupération de scène de film (sur "Sticky Hair-Pin" avec la scène de l'accident dans "Sailor et Lula") mais bon, rien d'extraordinaire ; et puis un deuxième album de pop plus sucrée et un peu niaise, qui semblait mettre en sourdine les velléités expérimentales pressenties sur le premier opus. Deux disques très dispensables donc, et puis arrive le numéro 3 : plus rien à voir, un O.V.N.I., un machin impossible à identifier ni à assimiler et dont je n'ai jamais, JAMAIS entendu l'équivalent, ni avant, ni après. Un disque de rock terminal, celui qui, oserai-je le dire, m'a rendu par la suite cette musique insupportable – comment écouter encore un autre disque de "rock" après "ça" ? Aujourd'hui (en 2002), plusieurs années après sa découverte, je me remets lentement : après n'avoir écouté que de la musique classique, je retrouve à pas comptés les plaisirs de mes premières amours musicales. Mais, en arrière-pensée, il y aura toujours "ça" : quarante-deux minutes de dégoût vomi comme une bile amère sur la bande-son de l'Apocalypse post-moderne. Arnaud Michniak et Michel Cloup ont fait le vide autour d'eux : les autres membres du groupe, et notamment l'insupportable chanteuse, ont été remerciés – et passées les amusettes du "Goût du jour", leur précédent opus, nos deux gaillards ont soudain pris conscience que ce monde était d'une noirceur terrifiante, sans espoir ni avenir – les idéaux qui animaient encore la génération précédente, dans le monde des idées, de la politique, de l'art et même de l'amour, n'ont plus cours. L'idée même du suicide serait par trop romantique et laisserait penser que nous croyons en une vie meilleure APRES – non : ils n'auront pas ce plaisir. Quel a bien pu être l'événement, le déclic, qui a provoqué dans le groupe un si radical revirement, et qui a surtout pu voir naître cet album? La question m'a toujours taraudé : ç'a dû être terrible : un événement tragique, la perte d'un être cher, un séjour en asile psychiatrique… J'ai tout imaginé – mais après tout, inutile de sombrer dans la mythification, c'est encore trop tôt et nous n'en avons pas besoin : la musique se suffit à elle-même. On aurait envie d'analyser chaque titre, chaque mesure, chaque mot tant le disque est abouti. Pourtant, ce qui jaillit à la première écoute, c'est un gigantesque maelström sonore, un chaos fusionnel, volcanique, porté par des guitares énormes, une gestion supérieure des samples, et aussi un jeu de batterie inouï. Ayant moi-même joué de la batterie pendant de nombreuses années, et donc très sensible à ce qu'elle peut apporter à la musique, je fus sidéré par ce que j'entendis – mais qui est-il, au fait, ce batteur, ce prodige? Puis viennent les textes : quand l'amertume et le dégoût prennent une telle ampleur, on n'a plus le droit de chanter, ce serait indécent ; et l'on ne prend plus la peine de crier, ce serait inutile. Alors on parle : pas de scansion féroce, mais un débit régulier et monotone. Et l'on est trop poli et trop pudique, comme tous les grands artistes, pour servir sa rage sans prendre de recul : alors ce sera la fable ("De la neige en été") ou le collage de faits divers, ces grandes aventures du pauvre ("A découvrir absolument"), le méta-langage pour parler de la mort de l'art ("Il faut" : ma bonne ville de Saint-Etienne avec son musée d'art moderne et son stade de foot de part et d'autre d'une route grisâtre…la chute de notre vieux monde et de ses utopies) ou pour parler de la mort de l'amour vrai ("Un instant précis"). Ensuite, avec encore plus de force destructrice, viennent les morceaux plus expérimentaux, comme "Les angles": effrayante vision symboliste (marquée à l'enclume) des villes, de l'humanité (des petites "marionnettes de viande", donc?), que sais-je…; "Une affaire de séduction" ou la déréliction du couple dans le monde moderne, dans un crescendo bruitiste. Décidément, tous ces morceaux retournent le fer dans la même plaie, mais chacun à sa manière propre – ils constituent AUSSI une expérience poétique, un "trip", comme on disait à l'époque où le rock donnait encore de l'espoir (et des hallucinations). Puis vient le plus grand morceau de bravoure, le trip ultime : le monologue de Véronika, tiré de "La maman et la putain" de Jean Eustache, sur lequel, avec une précision au scalpel, se greffent les guitares enragées du groupe. Le texte d'Eustache, à lui seul, résumait trop bien ce déchirement entre pudeur et impudeur, fureur romantique et réalité petite-bourgeoise, pulsions d'amour et pulsions de mort. Oui, Cloup et Michniak eurent bien raison de piller l'œuvre du cinéaste – pas d'autre solution : ils avaient tout compris, à ce que nous vivions, à nous, à moi. La chose se conclut parfaitement : une reprise de "Blank Generation", l'hymne punk U.S., mais qui se retrouve comme prisonnier dans un cercueil de glace, réfrigéré dans un écho lointain, annihilé – et la pulsation synthétique, de plus en plus désordonnée, finit par tout engloutir. De fait, ce disque métamorphose tout ce qu'il touche, y compris l'auditeur. Cet Apocalypse est bel et bien, comme le sens premier du mot l'indique, une Révélation : "Quand j'ai ouvert les yeux, le monde avait changé…" Après ça, il semblait impossible d'aller plus loin. C'est donc tout naturellement que Cloup et Michniak se sont séparés et que Diabologum (décidément, quel nom ridicule !) a cessé d'exister. Michel Cloup, avec Experience, est revenu à un noisy rock à guitares (un peu) plus conventionnel, et Arnaud Michniak, avec Programme, s'est enfoncé plus avant dans la noirceur et dans l'expérimentation, mais, trop introspectif et trop direct, il a oublié qu'une certaine distanciation est la condition nécessaire pour produire de grandes œuvres. Probable donc que ces deux-là ne feront jamais plus quelque chose approchant "Diabologum #3". Tant mieux.

note       Publiée le samedi 11 mars 2006

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Coltranophile Envoyez un message privé àColtranophile

Fin de soirée. Bout du monde. Compagnon.

Raven Envoyez un message privé àRaven
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"Bonjour je m'appelle

(ressorti tout récemment aussi...avec deux Programme dans la foulée)

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Klarinetthor Envoyez un message privé àKlarinetthor

Fauve dans 15-20 ans c'est un peu pareil aux mendel and co. Le bruit noir m'a fait penser a daniel darc aussi (pour egayer un peu le portrait).

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Dioneo Envoyez un message privé àDioneo
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Je pourrais te répondre : "On va tous mourir, puissante découverte !"... Mais ce serait à mon tour faire preuve d'une mauvaise foi - qui n'est pas la mienne (vu que les question de "foi" sont pas plus que ça mon affaire, aussi) -, d'un mauvais esprit un peu approximatif, disons... Espérons que ce que je veux dire transparaisse un poil là-dedans, toutefois.

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(N°6) Envoyez un message privé à(N°6)
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Ce que je peux comprendre, de ne pas y adhérer. Par contre, on ne m'enlèvera pas de l'idée que "Mon fils reste dans le néant, je t'évite un aller-retour", est d'une lucidité terrible, c'est à propos de celle-là que j'ai pensé à Cioran la première fois.