The Aloof › This Constant Chase For Thrills

The Aloof m'ont longtemps tenu éloigné d'eux avec leur nom pas très musulman, m'évoquant quelques flatulences crapuleuses dans les ascenseurs - et par ricochet mental la musique qui passe dans ces cabines câblées. Alors que ce n'est pas si bête comme nom, et assez logique au final : "Aloof", ça veut dire "Lointain". Ce nom qui détonne dénote une forme d'humilité, de pudeur, loin des histoires d'Attaque massive ou de Tête-de-port... Higher. En fait, la musique de The Aloof sur leur ultime album, sorti au crépuscule du second millénaire sur leur petit label tout frais, est en quelque sorte bel et bien de la musique d'ascenseur : elle élève. Et est aussi propice aux fantasmes, comme son tube incontesté "So Good", à faire pâlir de jalousie tous leurs concurrents mourants. L'élévation, cette sensation céleste, nous étreint à l'écoute hyper-fluide et ultra-facile de ces synthétiseurs plus lactés que la Voie... Et cette voix ? Magique comme le matin. Intime comme une... Voix intérieure. Tel un Horace Andy détaché de tout, et surtout de la gravité. Et avec la fragilité d'un Darrin Huss. L'expression d'une sérénité shamane, dans un décor d'Ibiza en banquise et en lévitation, au-dessus des nuages. Jusque dans ces modulations robotico-extraterrestres, à travers le filtre technologique... The Aloof s'éloigne du rock, pour embrasser la techno. Tisse un envoûtement de fines étoffes synthétiques, strates subtiles, sous le minimalisme voire le quasi vide apparents, exprimant une volupté absolue. "Give me a second chance (...) I want you close to me, all the time.", entend-on sur le sublime blues électronique "Tearing up Inside". C'est simple et beau. C'est pur. Nectar d'un trip-hop nourri à la house et à l'eurodance les plus purifiées, distillées en alambic d'apothicaire des nineties, This Constant Chase for Thrills touche en plein cœur atomique du chakra solaire. Communion, fusion de l'embryon et de l'âme libérée. Par-delà la matrice et ses cliquetis d'insectes informatiques. Un aspect a priori minimaliste, en réalité truffé de subtiles manipulations et effets, parfois moiré par quelque sentiment d'inquiétude ("Infatuated", la björkienne "D.I.F.M. Version"; ou le dub surnaturel de "The Beach")... Intégralement baigné d'une lumière mystique. Le ballet des rythmes et textures, créant une ample cape de sérénité, d'apaisement aérien, au gré des longues soies flottantes comme des mirages. Post-jungle, ou dub modifié, sous les influences croisées de musique électronique et de soul... Dans un disque d'une homogénéité qui confine à la révélation, laissant un peu la sensation d'un Leftism qui vous mène encore plus haut, où nos angoisses existentielles s'évaporent. Les fétichistes des sons les plus soyeux et enveloppants des années 90 peuvent s'arrêter ici : ils ont trouvé leur bonne étoile ("Good Morning World" les en convaincra). Cette étoile, c'est aussi ce Soleil qui frappe sur la plage, et qui fait voir à travers les paupières, à travers la peau. Diaphane. Ascension vers le lointain programmée, dans le petit lait des synthétiseurs, dans la crème profonde des songes, où esprit et cosmos coïncident, où cette recherche permanente de sensations atteint satiété... Un grand merci au membre Allobroge pour m'avoir fait reconsidérer The Aloof, que j'avais laissés sur la piteuse image de la pochette de Sinking et ces bulles aquatiques douteuses. Et un grand merci pour ce final discographique en beauté, ce dernier soupir des années 90, ce chant du cygne dans la lumière la plus envoûtante (six boules-Soleil à l'image de cette pochette, peut-être conçue sur Paint, mais surtout sobre et irradiante). The Aloof n'est plus tourné vers l'eau ; mais les cieux. Et au moment de son évanouissement, devient aussi grand qu'eux.