A thème non confortable, musique non confortable, sans agression pour autant, tout le talent est là. Avec ce projet, Laur souhaitait ‘revenir à une forme de côté militant à travers la musique’ sur le thème de la libération animale, un thème que ses détracteur aiment à décrire comme bobo, fashion, à ceci près que le Bisontin fait partie des coureurs de marathon, non de sprint, et qu’il n’a pas attendu l’engouement bienvenu des dernières années pour se positionner. Il serait aisé de décrire cette musique comme ‘synthétique’ mais à condition de réviser ses classiques old school, Cabaret Voltaire, Fad Gadget, Human League à leurs débuts en tête; faire danser tout en véhiculant un message et en se montrant exigeant dans la conception musicale. Pari gagné. ‘Sentient’ ondule allègrement entre le rêche et la mélodie, une sorte de pop indus évitant soigneusement les rythmiques trop fluides. Laur travaille comme à l’époque où les groupes devaient bricoler des lignes à coups d’échantillons ultra courts, faire cohabiter les effets, s’amusaient à tripatouiller des boutons et coller des séquences. Une période où le synthé n’était pas une finalité mais un outil d’exploration avec pour mission de défricher la pop, la déflorer avec rudesse pour lui faire questionner ses codes et son éthique. Ecoutez l’excellent ‘Sound and rage’, c’est toute l’ironie acerbe d’un Frank Tovey que l’on retrouve dans cette drôle de mélodie interlope, idem sur le non moins efficace ‘Criminal saviour’ qui rappelle qu’on peut injecter du malaise noir dans la musique synthétique. Parfois, ce sont plutôt les méthodes de Cabaret Voltaire à l’époque où ils étaient créatifs qui viennent titiller une fibre mélomane, nullement nostalgique, là réside le savoir-faire du Français. Car les compositions de ‘Sentient’ ont beau dégager ces délicieuses effluves du début des 80’s, elles s’ancrent clairement dans notre époque sans chercher à jouer la carte rétro, elles n’en ont pas besoin. Mon explication serait plutôt que des musiciens tels que Laur rappellent qu’on peut travailler l’électronique différemment, de manière moins balisée, oser l’expérimentation au travers des schémas pop pour transmettre des idées mais aussi simplement écouter de la musique exigeante. Voilà un album dans lequel on ne rentre pas forcément entièrement à la première écoute, ces drôles d’agencements louches, cette voix planquée au second plan, comme le concepteur derrière son ordinateur, tissent une impression mitigée, faussement confortable, vers laquelle on a pourtant envie de retourner pour vérifier qu’on n’a pas raté une porte dérobée dans l’obscurité, laquelle porte existant bien mais sous forme de reflet d’un éclat de lumière souterrain négligé au premier coup d’oeil. Cette première production physique témoigne une fois encore du talent du Bisontin mais également d’une culture musicale exceptionnelle si bien digérée qu’il n’a nul besoin de la singer.