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Freeze Corleone › LMF

cd • 17 titres • 65:30 min

  • 1Freeze Raël
  • 2Hors Ligne
  • 3Scellé Part.2
  • 4Tarkov
  • 5Rap Catéchisme
  • 6Stretch 4
  • 7Pas De Refrain
  • 8Big Pharma
  • 9Logo Audi
  • 10Moncler
  • 11R.I.P Pop Smoke
  • 12L'Art De La Guerre
  • 13Numérologie
  • 14Dans Les Buissons
  • 15Desiigner
  • 16PDM
  • 17Chen Laden

informations

Studio KGB

line up

Freeze Corleone a.k.a M.O.I. (MC, production), Flem (production)

Musiciens additionnels : Roi Heenok (MC), Seezy, JayJay, Ocho, C2S, Marlex, Nassir, Rayanebeats, Tab (production), Ashe22, Alpha Wann, Kaki Santana, Despo Rutti, La F, Black Jack OBS, Stavo, Osirus Jack, Shone (MC's), Balastik Dogg (voix)

chronique

  • 'satanique comme le rock'

Quelques notes de piano basiques, cliniques, un frémissement mécanique... Une présence, déjà... Qui d'ombre à ombre, captive. Un soupir du fond des âges, murmure de pure abstraction... Et ce kick de basse techno, nourri au gros transfo (pas étonnant que le MC arbore un tatouage de Nikola Tesla ?) "Freeze Rael". Inoubliable intro-vortex menant à... Rien. Oui, c'est bien ça : Freeze Corleone c'est... Le vide. Le néant. Avec des dents. Vingt ans après Mauvais Œil, nous voici arrivés au point où le vide de la musique de racaille deale mano à mano avec les musiques sombrex. Capuches en dialogue avec Guts of Darkness. Rap, trap, drill, dark-abstract, gangsta-ambient ? Osef : ça sent encore moins le printemps que chez Cold Meat Industry, dans c'te zique-là ; zyklon dans la polémique ou pas, l'beat cause avant tout, l'buzz est en-dessous. Le vide avec un style, chétif mais invasif... Furtif. Faussement médiocre, purement instinctif, et wallah d'envoûtant, avec sa façon de glisser sa musique friable sous la dure-mère, intraveineuse de sons sombregris, clignotements, chuchotis, bruits chelous d'origine indistincte couinant dans le smog électronique, strates d'instrus gorgées d'azote liquide et de curare. Piano fantôme partout. Immuable tristesse sans larmes.

LMF, album hip-hop d'une rare homogénéité (malgré sa meute de feature-hyènes) a une façon de raconter le vide, de le refléter, de le transmettre au tympans comme une drogue à la fois familière et étrange. De vous donner à palper les contrées cauchemardesques de cette jeunesse sans repère, sinon celui de sa lunette de visée tactique dans un FPS de merde à la Call of... Version russkov. Atmosphère S.T.A.L.K.E.R., voire Stalker - c'est net. En Nike Air. Raréfié. Instrus plus aveugles que des taupes, zones de transit dans lesquelles on perçoit les vibrations d'artefacts radioactifs. Découpage du cauchemar en lamelles de Limbes, façon lèpre du décor sonore, tapotage de cône en cadence au-dessus du ravin... Et tout, et tout. Je ne pouvais me défiler devant l'évidence de cette ambiance brillamment - si j'ose dire - orchestrée par le mystérieux Flem, non ! En ma qualité de Mouloud Achour des Ténèbres, il est de mon devoir de référencer en ces pages tout ce qui touche au hip-hop sombre et/ou expérimental. Et qu'on le veuille ou non, cet album ayant pas mal fait parler de lui en 2020 (pour des raisons hélas souvent extra-musicales) est à placer au rang des disques de hip-hop les plus morbides jamais enregistrés. Les morceaux s'y confondent, mais pour le meilleur, montrant la répétition du hip-hop dans ce qu'elle a de plus absorbant. Sensation de tourner en rond sans cesse au sein d'un cercle beaucoup plus grand, assez effrayante. Pourtant chaque instru apporte sa teinte, dans ce nuancier funèbre. Alors si ce rappeur des années 2020, traîne-sneakers défoncé à la skunk premium et au syrup, est associé à une promo sulfoireuse / complotriste qui lui a fait encore mieux vendre de sa camelote, c'est pas grave. Quand il lâche avec dédain "fuck ces négros comme Jean-Marie" par exemple, je me fous cobra royal de savoir le degré de second degré, l'intention réelle derrière la formule, le taux de post-post-cynisme : elle injecte une image vivace, assez simple et sale (au final bien dans la tradition du rap dit "hardcore" et des innombrables connards sans morale qu'elle a charrié) pour mettre une lueur de laideur dans ce son-néant béant, qui grignote les derniers restes d'espoir en l'humanité avec l'absence de programme politique d'un cafard ou d'un trou noir... Le vide existentiel, émotionnel, total...

Vide dont on atteint le fond, astral et rectal, quand déboule l'improbable idole de Freeze, le roi des loques du mic : Heenok. Invité charognard qu'on attendait pas et qui, de son timbre à la cadence infâme semblant ramollir le cours du temps comme du vieux grumeau d'fromton fondu sur la poutine, vous assène ses punchlines et ses menaces de trépané comme si la vie de son dernier neurone en dépendait. Instant de stupeur et d'incompréhension plus difforme qu'un Joseph Merrick du flow, motivé à tenir le rôle d'un gangster redoutable... mais qui jouera surtout celui d'Elmer Remue-Méninges, en nous laissant lobotomisé à répéter "donne moi ta Roleeeex et ta bagnole, on demande la rançon pour ta nana" avec un vieux filet de bave coulant jusqu'aux godasses. Indescriptible moment de malaise tragi-comique, foncedé au dernier degré, digne d'une rencontre entre Mobb Deep et Philippe Katerine. Plus-grotesque-et-sinistre-à-la-fois-tu-meurs. Le reste des guests, infâme même si moins (quoique, "PDM"...), est en parfaite symbiose avec le morne absolu et magnétique de ces instrus, plus inhumaines qu'un McDo. Les bornes de commande proposant en guise de menus plusieurs façon de crever, toutes minables... "Freeze" hein ? Ouais ouais, encore plus mérité qu'Ice Cube... Brrr... Hé bah alors Mouloud, on a les glandes ? Où on est, Loud-mou ? Quelle banlieue, planète, dimension ? Sait plus ? Soufflette de surnaturel dans tes amygdales, pétass'. RESSENS. T'es dans le lin.

Même quand l'brevet des collèges grince des oreilles. Car le seul frein potentiel à Freeze C. est p't'êre juste là, en fait. Non dans ses punchlines axées consoles de jeu, codéine et conspiration, ni même dans son lexique cryptique (avec ces 'ekip' et 'petass' éclatant comme bulles à la surface) mais dans son gimmick de cassos consanguin de fin de lignée, a.k.a "comme si j'ai pas de Bescherelle" : si ça fait plus que piquer les tympans au début, il faut avouer qu'un doute subsiste quant au sérieux d'un tel cancre, car il ajuste le tir par endroits. Que croire ? Pas les débats 2.0 à deux euros, en tout cas, et leurs auteurs faisant semblant de ne pas voir que ce rappeur aussi malingre que déter ("On attend notre tour, j'sens qu'ils sont autour, que des serpents et des vautours / J'arrive dans l'rap jeu comme un vol commercial détourné pour percuter vos tours") s'en fout à un tel point qu'il n'en est même pas au stade du troll mais de "tous les moyens sont bons pour le biz", tout plongé jusqu'au bandana qu'il est dans son appétit juvénile aveugle, bassement et froidement consumériste, aussi évident que le vide qu'il a dans le cœur et l'humeur. "Même quand j'dors, j'fais d'l'argent". Ici on est plus soucieux d'avoir la doudoune Moncler la plus chère, la beu la plus chargée du ter-ter, que d'idéologie...

Don Cornetto, même avec tous ses réflexes capitalistoïdes à ce stade de déliquescence avancée (génération cryptomonnaie-Macron-Hanouna), est bel et bien un rappeur spécial, une singularité dans ce jeu, et dans la musique tout court. Un flow en distance tactique, aux mouvements sveltes, tel un ninja en opération pour éliminer on ne sait trop quelle cible, du moment qu'à l'issue du contrat l'stock d'OG Kush sois amorti. "J'ai fumé des forêts". Sa cinétique particulière et sa façon de segmenter les mots sont fort bien mises en valeur sur la dépouille de Pop Smoke, à l'instru simple et sublime. Cet auto-entrepreneur vingtenaire, fier de faire fructifier ses comptes bancaires sans bouger de son siège de gamer grâce à la dernière appli à la pointe, est touché par une forme de magie, bien sûr maléfique. L'ambiance, encore, au risque de radoter (car médusé) : miasmesque, ectoplasmique. À la fois évanescente et jusqu'au-boutiste, dans sa façon de refuser radicalement toute couleur vive. Ambiance qui fait que j'y reviens sans cesse, à chaque fois plus aimanté par l'absence vénéneuse de ce MC-Ballec, encerclé par des chacals masqués de brume chimique, qui me capturent du temps de vie tout en ricanant sans sourire.

LMF exerce un fort pouvoir d'attraction, ouais, qui n'a pas diminué depuis ma découverte à sa sortie en plein "post-confinement". Il s'est confirmé, par jeux d'ombres subtils. Un vrai gouffre émotionnel, vous plongeant dans un endroit nettement moins cosy et cerveau-friendly que Silent Hill, que toute cette graphomanie crasse ne décrira jamais vraiment, mais dont tous les recoins me soufflent sur la nuque. Peu de choses ayant encore apparence fiable survivent dans ce son, tels les derniers spécimens à nageoires qu'on croise au plus profond des abysses, les rarissimes fois où on peut les atteindre - car l'Homme, dit-on, s'y est moins rendu que sur la Lune. "Deep comme la Fosse des Mariannes". Le plancher de cette humeur techno-terne des années 2010 en mourance, galaxie d'écrans sombrant à travers l'horizon des évènements, jusqu'au cœur aveugle de la non-vie. L'éclat dévitalisé d'un règne numérique dont la musique devient ce morne et informe fantasme, fluide et "volutesque", 100% à l'image de sa pochette, et de son titre (La Menace Fantôme, qui lui va bien mieux qu'à ce film plein de lumière et de couleurs). Freeze, s'il n'a pas le charisme des maîtres, happe avec sa façon, dédaigneuse mais technique, de débiter ses rimes sèches sans lâcher le réticule. De souffler à travers ses dents du bonheur, façon sarbacane, ses bi-syllabes, par à-coups rapides, avec sa propre mécanique à la psychopathie manifeste. Il est certain que cette jeune racaille n'est pas "descendue du ciel en rappel" pour rien, ici-bas. Il se passe quelque chose dans ce néant, définitivement. Quelque chose de... Tangible. La BM se confond avec l'abîme, renvoyant à cette fameuse maxime du philosophe obsédé par la volonté de puissance et le sur-vêt'. La place de ce disque sur ce site me semble, pour toutes les raisons évoquées ci-haut, incontestable. Un hip-hop d'essence chtonienne, laissant dans les vapes, noyauté par un vague mais tenace sentiment de désolation.

note       Publiée le mardi 22 mars 2022

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    Raven Envoyez un message privé àRaven
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    "et surtout surtout le bien-nommé FDT, disque bizarre, le plus dark, vaguement mystique, autistico-conspi de Freeze, encore heureusement marqué par les expérimentations du 667"

    Fais péter la (les) chros Ntnmrn ! J'suis qu'un noob du Chen Zen 667 hein (j'ai découvert le freeze en 2020, en pensant qu'il finirait en freezebee, et j'ai écouté le précédent après, pour mieux revenir à cui-ci... mais cétonjamé).

    Note donnée au disque :       
    kama Envoyez un message privé àkama

    Y'a ambiance poisseuse en concert (et les kids connaissent toutes les lyrics, ça fait bizarre)

    Note donnée au disque :       
    nowyouknow Envoyez un message privé ànowyouknow

    J'avais écouté très brièvement le précédent. Un des rares trucs français de ces dernières années qui m'a paru pas mal (l'album d'Alpha Wann est un autre) mais je continue à me tenir loin, ces mecs là me foutent trop le cafard.

    Ntnmrn Envoyez un message privé àNtnmrn
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    Une belle arrivée sur guts! Bravo pour cette chro au moins aussi généreuse que le disque en question. Tuerie au début et à la fin (on ne mentionne pas assez "Chen Laden", un des meilleurs textes de Freeze), les meilleurs titres sont en solo et les featurings souvent à la ramasse (sauf l'inénarrable Roi Heenok et Stavo qui est littéralement monstrueux sur "Numérologie").

    Je trouve LMF moins bon que les deux précédents disques : le succinct et monotone Projet Blue Beam est sûrement la forme la plus aboutie du Freeze "trap" ; et surtout surtout le bien-nommé FDT, disque bizarre, le plus dark, vaguement mystique, autistico-conspi de Freeze, encore heureusement marqué par les expérimentations du 667 de ces années-là (cf. la compil 667 et les disques de Jorrdee !).

    Message édité le 24-03-2022 à 12:57 par Ntnmrn

    Note donnée au disque :