Philippe Deschepper › Attention escalier

Guitariste de la marge, Philippe Deschepper est un artiste au talent épousant d'abord une personnalité résolument obstinée. Avant ses faits d'armes avec d'autres défricheurs du jazz (Kassap, Lubat, Portal, Tchamitchian ou Sclavis) permis par une rencontre décisive avec Henri Texier, le musicien lillois s'est dans un premier temps essayé au banjo au sein d'un orchestre de Nouvelle Orléans local, a bifurqué par le folk d'une cour des miracles flamande (avec bouzouki et planche à laver), a habité l'ombre de Thanatos (groupe de rock à jamais non-identifié), puis est parvenu à trouver sa voie. Celle d'une musique expressive, expérimentale, toute personnelle. Attention escalier, l'unique album solo de sa carrière, nous renseigne sur les contours flous et en dents de scie de cet hurluberlu du genre à héler ses copains en ch'timi dans la rue. Déballant vingt-trois pistes de guitare et de cordes associées en autant de micro-drames musicaux, taillées à la louche et distillées à la pincette, celui qu'on surnomme Deschep' retrace en vol plané son parcours jazz'n'rock bossu sans passer par la case départ. La prise jack en colimaçon et des samples prêts à l'emploi, on y grimpe souvent les marches quatre à quatre, en reprenant son souffle après avoir éructé un bon coup. D'un hommage fouillé à Jean Tinguely à son "P'tit Quinquin" tout doux, l'amateur de sculpture nous perd parfois dans des zones indéterminées où le risque devient un parti pris, renouvelé à chaque étage, le but n'étant clairement pas de gratter le ciel mais de démanger nos oreilles par l'acide. Si les morceaux plus longs provoquent une émotion presque tactile (le gros solo atonal de "Prise de terre"), dans l'ensemble, ça part un peu n'importe où, en se passant bien d'un quelconque préavis. Sans jamais vraiment se casser la binette, Philippe Deschepper tâtonne et avance masqué, son agencement éclaté est presque trop déroutant dans ses choix, même pour les codes de l'improvisation. Les deux "Graph" en copier-coller, laissés pour compte au lieu d'être étendus par la suite, sont un bon exemple de ces semi-ratés qui semblent presque voulus, comme si l'intention profonde était de venir bousculer nos habitudes ; "Centre-ville, toutes directions" est l'arrêt inutile de cette ligne de métro bizarre qui desservirait à la fois un chantier, une tour et une cage d'ascenseur fixée à même le sol. Une porte entrouverte sur tout et rien. Pourtant, la démarcation avec des disques décriés de ce style, comme le Zero Tolerance for Silence de Pat Meteny, est claire. Moins amplifié, plus bigarré ; moins tranchant, plus fragmenté. Gros point d'interrogation en lieu de visage. Pour le musicien, l'aventure est vécue : le jeu de l'auditeur, c'est de faire parler ses enceintes, d'en interpréter les signes, et c'est à lui que revient le choix de laisser (ou non) au créateur de ces formes sonores le fameux… "bénéfice du doute".