Heimann Rudolf › Tide

Caméléon sonore ou troubles de la personnalité multiple? Il est assez difficile de cerner l’univers musical de Rudolf Heimann. Bien qu’il soit un vétéran de la scène électronique Berlinoise depuis plus de 20 ans, c’est la toute 1ière fois que mes oreilles croisent les rythmes croisés et chaotiques du synthésiste Allemand qui niche maintenant au label Spheric Music. Rudolf Heimann, qui tente un retour après plus de 13 ans d’absence et de silence, offre en Tide un album aux rythmes ambivalents, aux structures qui tanguent entre le hard et le soft techno tout en effleurant de relatives douceurs cosmiques, aux séquences et percussions chaotiques et aux superbes arrangements qui ne sont pas sans rappeler le complexe univers de Geoff Downes. Un album intéressant qui plaira assurément aux amateurs de TD des années 90.
Rythme soutenu, tel un bon rock pesant avec de solides percussions, un clavier qui échappe de lourds riffs et un séquenceur aux boucles échotiques, Up & Down The Waves ouvre Tide avec une solide approche rythmique. Un beat infernal, genre tape-du-pied, assiégé par un synthé hybride dont la multiplication des solos s’entremêle à des versets synthétisés où l’approche poétique du synthésiste Allemand est plus qu’une simple combinaison de sons. Driftwood nous propulse sur les planchers de danse des années 80 avec un lourd synth-pop qui tressaille sous de bonnes pulsations et des percussions claquantes. Une guitare acoustique supervise l’aspect mélodieux, ainsi qu’un clavier aux échantillonnages légèrement vocaux, alors que de lourdes strates d’un synthé métallique et syncopé apportent une dimension mélodieuse à ce lourd synth-pop techno très accrocheur qui dévie vers une finale plus cosmique tout en maintenant son tempo fébrile. On sent une nette influence de Tangerine Dream, années Private Music, sur Staring At The Sea qui est plus léger et nettement plus électronique que son prédécesseur. Tout en conservant le même contenu musical, Heimann offre un doux tempo plus rêvasseur et plus près des terroirs électroniques, avec ses langoureux solos de synthé qui se faufilent parmi avec de bonnes frappes de percussions et de bons arrangements où accords et effets sonores sont bien insérés, témoignant du rodage de Rudolf Heimann dans les sphères de la MÉ. Absorbed In Thought est un beau titre où les séquences sautillantes claquent dans un délicieux élixir de strates langoureuses, valsantes et morphiques sur un tempo métissé entre le Space Rock ou une MÉ planante. Un très beau titre doté d’une belle poésie musicale où les solos fusionnent avec de denses ondes mellotronnées sur une structure finement chaotique et mélodieusement cadencée.
Avec ses riffs de guitare aux saveurs de l’ouest, Awaiting The Tide oscille entre un country rock cosmique et un soft techno aux solos de synthé torsadés qui épousent à merveille les accords de guitares. Une belle pièce, toute mignonne, qui sonne comme du TD des années Melrose. Offshore souffre de dédoublements de structures musicales dans une totale frénésie de dualité rythmiques. La beauté de ce plus long titre dans Tide réside dans la complexité de sa structure qui se subdivise en plusieurs approches rythmiques, embrassant tout autant le dance-floor, le soft techno, le break techno et la MÉ séquencée, mais avec des séquences croisées où le rythme abonde sur différentes sphères cadencées avec des sonorités de DJ aux croisements modernes et une fusion analogique/numérique. Un titre étrange et intriguant qui commande une bonne ouverture d’esprit, tant la dualité des tempos peut être incohérente avec la multiplicité des sonorités et effets sonores. Plus reposant Stranded On Your Shore est une vraie ballade électronique en ce sens que l’on ne sait vraiment d’où provient cette fusion de ballet cosmique et de comptine aux prismes de verres qui ondulent avec une délicatesse lyricité. C’est tout simplement beau et un étonnant maillage de TD; Le Parc et Legend. Morphologic Resonance conclût Tide avec de lourdes résonances qui tâtonnent à pas de loup. Le rythme se développe lentement avec des accords hachurés qui voltigent dans un environnement qui hésite entre le cosmique et le rythme tangible. Des accords de guitares forment un doux chapelet mélodieux qui stagne pour s’élancer dans les sentes d’un soft techno, témoignant de l’ambivalence des structures rythmiques qui sillonnent tout le parcours de Tide.
Je dois admettre que l’écoute de Tide rend perplexe, tant la diversité sonore est pour le moins étonnante. Sauf qu’en s’y arrêtant de plus près et en écoutant plus attentivement toutes les subtilités et arrangements qui ponctuent (sa très grande force selon moi) cet album retour de Rudolf Heimann, on parvient à franchir cette constante coexistence entre le soft et le hard techno, ainsi que ses étranges structures difficilement identifiables qui tantôt rappellent soit Tangerine Dream, soit Geoff Downes et même Depeche Mode, pour apprécier toute la minutie qui se cache derrière ce fascinant festin des rythmes et sonorités qu’est ce dernier opus de Rudolf Heimann. Évidemment, diligence n’est pas nécessairement synonyme de chef d’œuvre. Par contre, et c’est le cas, ça peut garantir un attrayant voyage musical qui plaira aux amateurs de MÉ, peu importe les genres.