Linija Mass › Genus Ferrum

Alexander Lebedev-Frontov est étudiant lorsqu'il fonde au milieu des annnées 80 Linija Mass, cette «ligne des masses» étant une expression récupérée de la propagande soviétique, et signifiant la politique du Parti tournée vers le bien du peuple. Animé d'un souffle résolument futuriste/constructiviste, il ambitionne de créer une esthétique nouvelle et personnelle des années 20 et 30, à travers le prisme de l'homme nouveau procédant de l'héroisme machinique. Son projet est alors principalement graphique, axé sur la photographie noir et blanc, et influencé par les travaux d'Alexandre Rodchenko. En parallèle, il accumule les enregistrements de machines et de sons concrets, dans l'optique de constituer à terme le miroir sonore de ses photographies. Il faudra tout de même attendre le milieu des années 90 pour que, décidé à structurer ses bruits en pièces plus cohérentes et complexes, Lebedev sorte quelques cassettes sur son propre label. D'un tirage très (trop) confidentiel, celles-ci seront heureusement rééditées par la suite sur l'excellent label allemand Membrum Debile Propaganda. Et c'est par ce single, «Genus Ferrum/Staleprokat», que je me propose de vous introduire à ce singulier projet. «Genus Ferrum» est très clairement une musique à la gloire de l'usine : à l'image d'une armée en marche, une mécanique répétitive progresse tout au long du morceau, imperturbable aux montées de scie circulaire ici et là, aux moteurs à vapeur, aux bribes d'un ardent discours politique. La pièce se clôt par une montée en puissance du volume et un dispositif de collages de plus en plus pressés. Un titre très bon, qui exalte avec un minimum de moyens la valeur du travail, et la grandeur des masses laborieuses. «Staleprokat» propose quant à lui un vocabulaire plus déconstruit : un agencement à l'apparence aléatoire de bruits concrets et métalliques (collisions, roulements, grincements, frottements, martèlements) évoque la machine dans ce qu'elle a de plus fragile, organique, alors qu'un moteur en arrière-plan, tenant lieu de drone, crée le liant vertébral de cet être aux articulations bancales et presque douloureusement humaines. Si ce disque constitue une bonne introduction à l'univers de Lebedev, je ne lui mettrai cependant qu'une note moyenne, les morceaux étant peut-être insuffisamment développés, et surtout le bonhomme ayant fait mieux par la suite.