L’empereur miroir, belle métaphore à une époque où le regard sur soi a atteint des sommets, qu’ils s’agisse de ressourcer ses chakras en mangeant bio après avoir médité et jeûné pour irradier telle l’image du bonheur version dessin animé, de montrer ses plaques de chocolat obtenues après une semaine seulement en soulevant des bouteilles en PET remplies de sable ou en exhibant sa tronche sur Tik Tok dégoulinante de gloss vulgaire pour inciter tout le monde à faire de même… Collaboration entre l’unique David Tibet et le groupe de prog italien Zu, cet album nous plonge dans des atmosphères interlopes finalement assez proches de certains disques de Current 93 vu l’orchestration choisie (basse, violoncelle, guitare sèche, un peu d’électronique pour les bruits d’ambiance); quelques percussions mais pas de rythme réel. Pourquoi faire ? ‘Mirror Emperor’ est une nursery ryhme qu’on est allé dénicher à la lettre G (comme glauque), ‘Alice in Wonderland’ après une infusion de psilocybes moisis et un sniff de glu bon marché, une représentation de ‘Ubu Roi’ sous acides pas frais. Tout tourne autour de la récitation unique, chamanique, de Tibet qui sait comme à son habitude coller à la musique à la perfection, elle-même là en support. Dès les premières notes, les musiciens nous plongent dans l’inconfort, une forme de malaise tranquille qui va subir des variations comme la courbe d’une onde, alternant des moments mélancoliques, dérangeants (les bidouillages électroniques chelous), noirs (le jeu des cordes basses comme une marche funèbre), apaisés, quelques moments de pur dark folk comme à la belle époque ((‘The absence of the Mirror Emperor)’, le beau final écorché ‘Awake (Mirror) Emperor’ avec instrumentation riche ponctuée d’applaudissements claudicants). Une pièce magistrale (presque un pléonasme) un tantinet longue qui, bien que sortie en 2018, se glisserait aisément dans la discographie de Current 93 fin des 80’s.