An Abstract Illusion › Woe

Parfois, on a besoin de TECHNICOLOR, marre de se refader un Romero tout granuleux, un Cannibal Holocaust en plastique, non, fi de Turkish Star Wars, nous on veut du Dune à la Villeneuve, on veut, parfois, aussi, du joli qui donne envie d’acheter des produits Apple(tm) ou des jolies Nike(tm) qui brillent dans la nuit comme l’éclat de lumière dans la rétine rétractée de Rick Deckard dans une nouvelle adaptation post-moderne de « est-ce que les moutons électriques rêvent de bonhommes de neige remplis de viscères quand ils pioncent après une journée passée à remplir des tableaux excel ? Hein ? » ; voilà, on veut du spectacle, on a payé cher la place à l’UGC, faut bien rentabiliser donc, par exemple, niveau musique, cette année, afin de bien amortir son abonnement à Spotify ou autres, on va écouter ce groupe suédois qui s’appelle « An Abstract Illusion » et qui, comme son nom l’indique, va jouer de la musique pas du tout abstraite, c’est donc une illusion et c'est leur deuxième album, rempli, très rempli, ça compense tout le travail de cogitation et, je dirais, l'anti-productivisme, le côté "décroissant" de ce groupe prenant son temps pour pondre une ou deux symphonies par décennie, ce qui est somme toute logique, on n'est pas tous des Mozart bipolaires en pleine crise maniaque bordel de merde, non ? Je dirais, pour que vous cataloguiez bien le groupe dans vos sous-dossiers qu’ils jouent plutôt du death metal alambiqué avec plein d’autres choses insérées dans les interstices pour faire joli, pas pour faire peur, par exemple des portées en clés de mindfuck écrites comme dans une sorte de transe, on essaye de retranscrire ça à la bouche : c’est compliqué. Ou bien des instruments, des chants, du growl, des claviers, du vent, des cordes, des déclamations en suédois (j'imagine, je parle pas suédois). Et puis on lit leur propre descriptif : « hymnes atmosphériques de la tundra ». Alors, la tundra, je ne sais pas si c’est atmosphérique mais en tout cas ça porte à la rêverie si c'est bien ça qu'ils veulent dire les "An Abstract Illusion", contrairement à plein d’autres spectacles du futuroscope, enfin je veux dire de groupes de métal qui se la jouent « progressif », un genou à terre, le micro en l’air, la tête tournée vers les étoiles, Rastignac soupirant dans le public en pensant « rah la la que c’est kitsch ». Ici aussi ça sera un peu kitsch parfois, mais pas assez pour me faire ressortir un AC/DC pour me remonter le moral, ou un San Antonio pour retrouver le goût du sel des narines mais on va donc dire que pour du beau, c’est bien fait, et comme c’est pas si mal, ça peut valoir le coup. Allez, osez l’illusion ! Par exemple celle de nager dans une beauté nec plus ultra, une complexité intrigante comme un cube qui fait des mathématiques quand on tapote dessus ou bien dans la cuistrerie la plus accomplie, à vous de choisir selon votre humeur et votre tolérance. Moi, qui suis resté le plus fier, moi, j'étais "aussi saoul que moi" et quand vers minuit je me suis détendu pendant ces quelques heures d’écoute j'ai comme eu un étirement de satisfaction mais attention : un soulagement « sombre et expérimental » bien sûr !