Panda Bear › Person Pitch

Nous sommes en 2007 ; alors qu’en groupe, Animal Collective se montre toujours aussi hirsute, avec une musique parsemée de hurlements et encore plutôt aventureuse pour les chastes oreilles du fan d’indie rock moyen, Noah Lennox aka Panda Bear, l’un de ses deux membres principaux, semble calmer le jeu pour son troisième album solo. Sa musique se dirige déjà vers le style développé par le groupe en 2008 avec son succès Merriweather Post Pavilion : une pop hypnotique, dominée par des boucles et des harmonies vocales façon Beach Boys. Mais Person Pitch ne saurait se résumer à une simple prémisse et constitue un véritable OVNI, terme impropre puisque l’objet non identifié de Noah Lennox semble se mouvoir dans des eaux tropicales plutôt que dans les airs... Un environnement à plus forte pression que la surface, sans être écrasant comme les abysses et nimbé de lumière. C’est que Person Pitch est bourré d’écho et doté d’un son qui n’a rien perdu de sa singularité au moment où j’écris cette chronique. Subaquatique donc, souvent dub dans l’esprit, et violemment psychédélique dans le rendu.

L'auditeur est accueilli par « Comfy in Nautica », courte boucle joyeuse cadencée par des claps, à prendre comme une invitation pour entrer dans un monde enfantin et bizarroïde... Une simple intro, puisque l'une des marques de fabrique de l'album est ses ruptures en fondu, comme sur la deuxième piste, « Take Pills », qui dégénère à mi-chemin en kermesse sous champignons. Le matériau de base de Person Pitch est d'une grande simplicité, l'album trouvant sa singularité dans son rendu sonore et dans une capacité confondante à faire perdre ses repères à l'auditeur.

Si l’album commence de façon plutôt sage, le grand saut est opéré dès son troisième morceau, Bros et ses 12 minutes 30 épiques. C’est l'instant de bravoure de l’album avec l’autre longue plage, « Good Girl/Carrots », qui se démarque par une utilisation de tablas et qui se montre particulièrement fournie en samples aquatiques et effets psychotropes ; elle mute au bout de 5 minutes vers quelque chose de beaucoup plus pop de toujours instable d’un point de vue chimique. Je me retrouve bien démuni pour décrire la structure de ces morceaux, finalement assez simple mais brouillée par le traitement sonore qui lui est appliqué. Panda Bear vise le même objectif que son groupe Animal Collective à la même période : l'induction de transes, mais il le fait ici de manière plus cotonneuse et onirique que jamais, douceur vénéneuse du rendu sonore oblige.

Comme tout bon trip psychédélique, Person Pitch échappe farouchement à l’analyse ; mais sa qualité pop, peut-être sans égale dans les discographies de Panda Bear et Animal Collective à l’exception d’un Merriweather Post Pavilion (mais qui n’a pas forcément aussi bien vieilli), lui permet d’échapper constamment au fumeux et de ne pas devenir une musique qui aurait besoin d’une prise de drogues pour être appréciée. N’est-ce pas d’ailleurs suggéré par Noah Lennox avec son « i don’t want for us to take pills » : j’ai longtemps pris ces paroles pour un pied de nez du fait de la teneur psychoactive de sa musique et de la défonce notoire des membres d’Animal Collective, mais pourrait-elle finalement s’interpréter comme une déclaration d’intention ? Person Pitch reste en tout cas un cas bien particulier, même dans la discographie aventureuse d'Animal Collective et de ses membres, peut-être seulement comparable au séminal Spirit They're Gone, Spirit They've Vanished : des disques très homogènes, hautement psychédéliques et empreints d'une telle étrangeté que le temps ne semble pas avoir de prise sur eux.