C'est la récréation ! Alors pour Fuzati, la récrée, ça consiste en quoi ? Ca consiste à faire du crate-digging, chercher des vieux 33 tours de jazz-rock puis rentrer chez soi avec quelques packs de bibine et se coller devant ses engins pour créer des boucles bien boom bap, avec du beat tout en batterie qui claque. Et après il fait quoi avec tout ce matos qui sonne terriblement old-school ? Y a deux solutions : soit il sort tout ça tel quel, façon album instru pure et dure, ce qu'il finira par faire quelques années plus tard, soit il pond un nouvel album du Klub des loosers. Sauf que non, c'est trop tôt. Et puis ces boucles là, aussi bien sonnent-elles, elles sont pas forcément raccord avec l'univers glauque du Klub. Alors l'idée lui vient derrière le masque. Demandez à des rappeurs de poser là-dessus. Et forcément, c'est pas le premier péquin venu du rap français qui va poser sur du Fuzati. Hors donc, on recontacte les vielles connaissances, celles déjà croisées à l'époque de l'Atelier, et puis d'autres issues des mêmes sphères, de tout ce rap un peu chelou qui rentrait pas dans les cases. Et que revoilà James Delleck qui traîne dans son sillon son partenaire de Gravité Zéro, Le Jouage et son flow chewing-gum nonchalant. Revoilà Cyanure plus remonté sur ressorts que jamais, accompagné de Freddy K, son vieux pote d'ATK, sans doute le rappeur le plus "classique" du lot, le plus street/conscient en tout cas. Et puis voilà Gérard Baste, l'inénarrable "chef" des Svinkels, bide à bière et flow agile-crado. Tout ça sous la houlette de Fuzati, ça forme une autre sorte de Klub, à l'esprit plus enfantin et purement hip-hop : c'est du game, c'est du jeu, c'est la récrée. Ah, on avait dit 7, ben oui y a le fidèle Detect, scratcheur et mixeur derrière la console. Je précise fidèle, parce qu'il est à cette bande de MC ce que Dagobert était au Club des 5. Pauvre Detect, tout le monde se fout de sa gueule et de ses scratches, du coup même lui s'y met dans un interlude final assez marrant. Des interludes, y en a parce que c'est hip-hop, en mode "Vive la vie" inversée un peu, le répondeur de Fuzati accumulant les messages de ses comparses sans leur apporter de réponse. Parce que c'est Fuzati le chef quoi, c'est son travail de prod, reconnaissable entre tous, qui donne la cohérence au tout. Car d'émulation de MC il n'est pas vraiment question, chacun rappe un peu dans son coin, chacun vient poser sa pèche (verbale), faire sa petite affaire comme dit Baste dans son morceau énorme de trivialité embibinée class-pec, et puis s'en va. Y a bien quelques duos mais faut un peu chercher le pourquoi du comment de la combinaison Fuzati/Freddy K, alors que quand les deux compères d'ATK se réunissent sur "A l'époque" il se passe clairement un truc, un croisement de flows qu'on ne peut pas improviser entre membres qui finalement ne se connaissent pas plus que ça. L'air de rien, Fuzati préfère toujours rester dans son coin et sortir une de se plus belles compo avec "Le parapluie", une mélancolie automnale venant se substituer au cynisme habituel du personnage, qui passe un moins bien dans le contexte plus léger de ce Klub là ("L'éponge" fait un peu Klub des loosers de face B). Delleck y va d'un vrai hymne de super-héro pour sa bite qui s'appelle Julien, c'est dire si ça vole pas toujours très haut même si l'instru déchire (à la réécoute d'ailleurs, je suppute que ce genre de morceau aura influencé certains tristes sires de la nouvelle génération, non, je ne citerai personne, c'est sale). Surnagent clairement Freddy K qui redonne une version de "J'ai grandi dans ça", de l'époque ATK, boostée par la boucle jazz de Fuzati (une de celles qu'on retrouve dans "Spring Tales") qui colle à son flow dynamique et africanisant au refrain; Cyanure dont l'égotrip sarcastique "Homme normal" tout en accélération/allongement/chevauchement de syllabes se paye peut-être la meilleure instru de l'album; et puis Baste, parce que c'est Gégé. Plus discret de la bande, Le Jouage se paye quand même un petit track pas dégueux mettant en scène un employé municipal de cimetière sur une boucle très générique de feuilleton ricain seventies, en fait samplée sur la BO d'un film de blaxploitation. C'est pas peu dire que ce sont ces instrus les stars du Klub, Fuzati faisant une démonstration de beatmaker assez fameuse, et si les flows et lyrics sont parfois inégaux, y a pas une boucle qui soit vraiment en deçà. C'est fat, comme on disait, rien qu'à voir celle, mélodique et entêtante, de "La réunion secrète", seul morceau collectif de l'album où finalement chaque membre-enfant y va de son couplet, et là encore c'est Baste qui rafle la mise alors que Delleck est un peu en roue libre et que Fuzati balance sa misère misanthrope habituelle. Eh mais faut pas oublier ce pauvre Detect, maitre es-scratches qui vient pimenter le tout, il a même le droit à deux minutes pour lui tout seul, un "Allez mon vieux" bien abstract. Au final même si Fuzati ne voudrait certainement pas faire partie d'un Klub qu'il l'accepterait comme membre (c'est son côté Marxiste), il a malgré tout réuni une belle bande de garnements autour de ses sons. Ne reste-plus qu'à vraiment se lancer dans le collectif. Mais ça c'est une autre histoire, moins évidente.