Rashad Becker › Traditional Music of Notional Species Vol. II

La musique expérimentale peut-elle être hype ? Eu égard des conditions de son existence (c’est à dire de s’aventurer là où la terre n’est point, en gros), cette question est aberrante. Mais au regard du récent succès du label Pan et de ses poulains, elle mérite quand même d’être posée, à l’heure du changement de la musique non plus comme industrie mais comme marché (autrement dit déconnectée de toute valeur quelle qu’elle soit hormis la sienne propre sur celle du marché a.k.a. l’art contemporain), de la musique comme nouveau fétiche (regardez les disques les plus chers sur Discogs, c’est tour à tour hilarant et consternant), de la musique comme objet et non plus comme « musique ». L’horizontalité totale qui gouverne nos années numériques (puisque tout peut être produit par tout le monde de n’importe où n’importe quand n’importe comment écoutable dans toutes les conditions tout le temps gratuitement d’hier et de demain etc) et qui aura (heureusement) détruit une grande partie des majors (non pas par l’écroulement de leurs produits mais par la ré-appropriation des codes commerciaux par tout un chacun, cf le fameux groupe PNL, autoproduit avec deux bouts de ficelles et un clavier MIDI qui vend cent fois plus que les plus grosses machines télé réalité-radio-machins) pose ainsi cette question : puisque tout se « vaut », comment échapper à la vision globale et générale qui nivelle tout vers le bas ? Je reformule : puisque l’éclectisme est une conséquence du tout-partout-à-tout-le-monde, comment peut-on encore réussir à y voir clair dans ces musiques qui, justement, ne font appel qu’à notre organe cerveau ? Pour continuer la réflexion de mon camarade chroniqueur, « Combien de fois est-on réellement surpris par des fréquences, des structures, des grains inédits ? L'inouï, c'est un fait malheureux, devient une denrée de plus en plus rare, à mesure que se facilite l'accès à la production ». C’est un truc qui m’a heurté pour ainsi dire « tout de suite » avec ce dernier album de Rashad Becker, « l’ingénieur superstar ». Le premier chapitre de ce qui s’appellera bientôt, parions-le, son « oeuvre », avait pas mal enthousiasmé un certains nombre d’entre nous, en premier lieu notre regretté VL et moi-même, par ses sonorités nouvelles, inédites, cet agencement de sons étranges et faussement aléatoire qui donnait quelque chose de très accessible, avec un imaginaire qui allait avec. Le second est en perspective assez décevant. N’y allons pas par quatre chemins, le disque semble littéralement être « un cadeau » pour les fidèles du label (et je suis bien placé pour en parler car j’en suis). Si tout n’a pas été entendu, tout ici est attendu, de sorte qu’on en vient à douter de l’identité de l’auteur de la musique (le syndrome moderne par excellence) tant tout ça est interchangeable avec le reste du catalogue – peu, ou prou. À trop voir les paysages insolites finit-on par les traverser en fermant les yeux ? Je suis assez sensible à la question de la supercherie, vous l’aviez remarqué, c’est pour moi une question retorse en tant qu’ayant vécu la disparition de « l’Auteur », qui est qui, qui est à qui, sous quels auspices, pour quelle raison, de quel droit ? Ce second album de Rashad Becker est un torrent pour mon moulin ; impossible d’y voir clair, et malgré mon amour pour ce genre de « trucs » (je suis une cible facile et pas tellement farouche), j’ai comme un pressentiment étrange, une sensation désagréable. Pour le dire simplement, j’adore cette musique et j’ai en même temps l’impression de me faire enfiler par elle. N’est-ce point là finalement la signification du « traditionnel » qui s’invite dans le titre ? De « qui appartient à tout le monde et à personne à la fois » ? Me voilà bien barré...