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Microcosmos › Pilgrimage

  • 1999 • Tzadik TZ 7222 • 1 CD

10 titres - 52:00 min

  • 1/ Renge
  • 2/ Ashura
  • 3/ Kaenko
  • 4/ Jouman
  • 5/ Hiten
  • 6/ Gouma
  • 7/ Henge
  • 8/ Fudaraku
  • 9/ Rinne
  • 10/ Koku

informations

Voix enregistrées au Wolf Studio, Londres (1-10) par Dominique BRETHES. Guitares (2 & 7) enregistrées au Gok Studio, Tokyo, par Kondo YOSHIAKI. Mixé par Otomo YOSHIHIDE au studio A102, Tokyo, mars et avril 1998, sauf 9, mixé par Dominique BRETHES au Wolf Studio, Londres. Produit par Otomo YOSHIHIDE. Producteur Executif : John Zorn. Producteur associé : Kazunori SUGIYAMA. Masterisé par Alan TUCKER à Foothill Digital, NYC.

La citation qui ouvre cette chronique est tirée d’une interview accordée par Otomo YOSHIHIDE à Michel HENRITZI (traduite par Yoshizuki SUZUKI et Pascal RIVOIRE), parue dans le numéro 50 (décembre 2001) de la publication trimestrielle Revue & Corrigée. CD samplés : Dubsonic : «Madmax» (3), Stockausen & Walkman : «Organ Transplants Vol. 1» (5), Otomo YOSHIHIDE : «Untitled(ten)» (7).

line up

Tenko (voix), Otomo Yoshihide (guitare, boîte à rythme, enregistrement et CD avec unité de mixage)

chronique

"[…] je ne cherche pas à torturer l’auditoire, mais à produire des sons qui me plaisent. J’emploie des bruits et des sine waves (ondes sinusoïdales) aiguës, mais pas pour créer des sensations extrêmes liées à la douleur, pas plus pour l’auditoire que pour moi. […]. Mais l’expérience de la beauté a toujours été liée au danger, et le risque, c’est qu’absorbé par la beauté, on en oublie de penser. Il faut en être conscient".

Outre qu’ils mettent en lumière un malentendu récurrent lorsqu’on en vient à son œuvre - et à tout un pan de la scène Noise Japonaise telle que perçue depuis "l'Occident" - ces propos du très prolifique et très sonore Otomo constituent également le plus parfait des avertissement pour qui voudrait se risquer à l’écoute de ce Pilgrimage. L’objet, en effet - comme souvent cet artiste - produit d’emblée un certain trouble. L’intention qu’a le duo de nous convier au voyage, à l'accomplissement spirituel, est certes patente. Le titre du disque, les illustrations (l’intérieur du livret affiche un alignement de statues qui semblent bien être des Bodhisattva), tout l’indique. Mais il y a plus. Autre chose. La figure qui nous accueille dès la pochette, par exemple, ne semble guère encline à la bienveillance.

Et puis il y a ce nom - Microcosmos - qui évoquerait volontiers (outre Bartok et certaine histoire de bestioles) l’image de mondes bouclés, mis à part, où s’aboliraient nos rassurantes logiques quotidiennes. L’écoute, de prime abord, ne lève pas le doute. Passée la première plage - un a cappella d’une séduction grave, intimidante (les lignes s’entrecroisent et convergent tour à tour dans un espace réverbéré, en appel aux sombres reflets)- le bruit nous arrache à nos prises. Les nappes, les vagues de guitare de plus en plus saturées, levées par une pulsation métallique, machine emballée aux freins impuissants ; la surenchère de cette voix hurlée, longuement, que rien ne semble pouvoir submerger tout à fait. Les remous plus profonds encore, bien plus lents, les cris plus perçants, plus soutenus encore sur la deuxième pièce. Ces minutes qui s'étirent et filent… L’auditeur, tel le Défunt errant dans le Bardo, doit faire face aux Divinités Courroucées. La décision lui appartient de sombrer dans la terreur, de retourner sans fin au cycle des renaissances ; ou bien de s’apaiser, d’ignorer, de dépasser sa peur. Alors survient le déclic. Une plage tout en fréquences suraiguës et vibrations lointaines enfouies sous la terre, nimbée d’un calme inattendu, paradoxal. Une pause, un palier. Et lorsque reprend le boucan, toujours plus véhément, plus accéléré, on est délivré de la crainte. Cette beauté dangereuse dont nous parle si bien l’homme aux saturations innombrables nous saisit à son tour, comme plus tôt la panique. Elle nous frappe même au cœur de ce pur déchaînement - circuits en vrille, guitare et machines - qui déferle au cinquième index. Le choc, son office accompli d’éveil et de purification, fait place nette à la plénitude. Jouissance toute physique de s’immerger dans ces textures abrasives ou liquides, ces épaisses coulées, de se laisser porter par ces rythmes, incroyablement dynamiques mais jamais écrasants (la fête shamanique de "Rinne"). Satisfaction toute cérébrale, aussi, de déceler en ces supposées anomalies, ces distorsions et tout ces heurts, d’insoupçonnables splendeurs. Et dans tout cela, rien qui relève du masochisme, du morbide, d’une fascination pour l’abîme. La sensation, plutôt, de surplomber ce vide, de pouvoir l’enjamber d’un pas sûr et dansant. Au fil des écoutes, la précision de l’œuvre se dévoile, sa subtilité. Sa variété aussi, dans ses sources comme dans les atmosphères qui s'instillent à chaque étape. La palette des matières dont use Yoshihide semble presque infinie. Et la voix de Tenko, dont on avait d’abord senti que l’inhumaine puissance, révèle sa souplesse, son aisance à parcourir les registres, à déployer des techniques riches et variées, du cri le plus brut à un chant proche du shomyo (psalmodie bouddhique aux notes longues et profondes, attachée aux écoles japonaises Tendai et Shingon)…

Il est dit qu’au quarante-neuvième jour d’errance dans le Bardo, le Défunt apercevra au loin des couples ou des paires, animaux ou humains, en pleine copulation ; soit il décidera, s’il est prêt, de passer son chemin ; son essence terrestre s’abolira, pour se fondre à jamais dans la perfection du Niravana ; soit, imparfait encore, il sentira pour l’un de ces couples une irrésistible attirance ; cet amour, alors, le rejettera dans le cycle des naissances, comme l'enfant de ces deux êtres. La dernière plage de ce disque n’est pas une extinction. Elle est baignée d’incandescence et un appel, de nouveau, la parcoure. Mais la lumière, en cette émergence, n’aveugle plus qui s'y expose.

note       Publiée le jeudi 4 septembre 2008

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