David Lynch & Marek Żebrowski › Polish Night Music

David Lynch est un artiste au sens pratique du terme. Loin du démiurge dont la mythologie s’accorde parfaitement avec l’industrie du rêve Hollywoodien, Lynch a toujours été un type qui fait des trucs, avec ses mains. Il peint, il sculpte, il bricole. Lynch touche à tout, il n’aime rien de plus que mettre la main à la pâte. "Inland Empire" est le point de son parcours où il revient à une sorte de pratique DIY, en se mettant en marge de l’industrie, comme un retour aux sources de ses années d’études. Il change d’économie, aidé en cela par de nouveaux moyens techniques qui le lui permettent, à commencer par la DV, cette petite caméra numérique qui change tout, malgré sa résolution cradasse. Lynch peut à nouveau bricoler comme il le souhaite, c'est ça qui compte. L’image n’est pas le seul domaine où il veut reprendre le contrôle. La musique aussi. Même si Badalamenti est depuis des années comme son propre écho, cette fois il s’en passera. C’est que David Lynch adore la musique, si il n’est pas vraiment musicien lui-même. Mais il peut toujours bricoler.

Alors qu’il est inspiré pour son nouveau film par les paysages urbains de la Pologne, emprunts de solennité classique toute européenne et d’une austérité ténébreuse, Lynch se met au travail, accompagné dans ses improvisations par le compositeur Marek Żebrowski, installé à Los Angeles et qui lui sert d’intermédiaire pour la partie polonaise de "Inland Empire". Seulement quelques minutes de ces drones profonds seront utilisées dans le film, mais Lynch n’est pas du genre à laisser son travail dans les tiroirs. Alors voici une longue déambulation, nocturne, forcément, aux atmosphères typiquement lynchiennes (c'est beau d'avoir fait de son propre nom un adjectif aussi significatif), avec juste un piano ténu qui ne vient pas, loin de là, apaiser la menace sourde et l’inquiétude qui pèse à chaque seconde de ces volutes lentes de drones. Comme un long cauchemar au ralenti, avec un sentiment à la fois élégiaque et effrayant, là encore typique du travail du cinéaste où se révèle comme chez personne d’autre l’étrangeté toute onirique d’une beauté flottante qui est aussi terreur, où la tension est une matière soyeuse. Int/Ext - Nuit. Toujours la nuit. Les rues. Les grandes usines. Les intérieurs avec rideaux, lumière du lampadaire blafarde à travers le tissu. Les femmes aux coins sombres des rues. Quelque chose qui rode, une présence. Quelque chose qui ne se résout jamais.