Kraftwerk › Tour de France Soundtracks

Ça pourrait être l'illustration du proverbe (à la con, comme la plupart des proverbes à base de bon sens près de chez vous) "On ne peut pas être et avoir été". Kraftwerk qui pond un album pour le centenaire du Tour de France sur la base d'un morceau enregistré vingt ans plus tôt, alors qu’ils commençaient déjà à être dépassés par l’époque. Quoique celui-ci avait une réelle élégance mélodique « empruntée » au compositeur allemand moderne Paul Hindemith, avec juste ce qu’il fallait de funkyness raide qui faisait alors le bonheur des breakers. Avec sa rythmique calée sur la respiration d’un coureur en plein effort (nonobstant l’effet ASMR dégueulasse), le remaster du morceau placé en fin d’album reste le meilleur témoignage de ce qu’avait pu être Kraftwerk. Pour le reste, ça tire sur la même ligne, juste avec un son carrément plus moderne, donc influencé par la minimal techno (on est en 2003 et ça s’entend). Mais Kraftwerk n'était pas un groupe moderne, c'était un groupe futuriste qui interrogeait la notion même à travers tous ses avatars (la construction européenne, les voies et moyens de communication, l'énergie atomique, l'homme-machine, l'avènement de l'informatique). Réactualisé au niveau sonore, le groupe est concrètement à la traine, avec des voix vocoderisées comme depuis « Autobahn », mais qui disent des trucs random sur le vélo, au point de donner parfois l'impression d'une parodie de Kraftwerk (vraiment, on peut remplacer le vélo par n'importe quoi et ça marche tout aussi bien : "micro-onde", "congelé", "calories", "digestion", "bien mangé", ça aurait conceptuellement à peu près autant de sens).

C'est pas désagréable, juste un peu chiant sur les bords, comme une étape de plat où tu sais que l'échappée va se faire cartonner dans les cinq derniers kilomètres. Sans doute les vieux fans qui n’avaient plus jamais écouté d'électro depuis vingt ans trouvaient ça super cool de retrouver Kraftwerk (dont le public ne s’est probablement pas retrouvé ni dans les raves, ni dans les clubs jungle, ni dans l’IDM à la Warp), mais le côté muséifié de l’affaire est quand même flagrant, d’autant plus quand l’album est officiellement rattaché à une institution sportive, médiatique et économique aussi gigantesque et consensuelle que le Tour de France. J’imagine déjà Gérard Holtz passant des extraits dans Vélo-Club entre une interview de Richard « dopé à l’insu de mon plein gré » Virenque et le résumé de l’étape de Jean-René « crevaison à la roue arrière-droite » Godart. À la même époque, Gerald Donald produisait une véritable alternative de Kraftwerk du temps présent avec Dopplereffekt et Arpanet, qui sonnaient à la fois rétro (en véritable hommage au seventies) et totalement contemporain rien qu’au travers des thématiques abordées. Ici, Kraftwerk déroule de la minimale flutée en roulant au train, se la joue petit braquet, poussés au cul par la voiture-balai des nouvelles évolutions de l’électro, planqué à l’arrière tel un gruppetto d’anciens champions qu’on applaudit encore au passage même si on sait qu’ils sont fondamentalement lessivés. Finalement Kraftwerk a manqué le coche en ne faisant pas un album sur Lance Amstrong, le vrai Man-Machine du Tour de France. Imaginez un peu les vocoder balancer des "injections", "pharmacie", "intimidation", "suspicion", ça aurait quand même eu plus de gueule…