Brendan Perry › Ark

Tout comme de son vivant personne n'a eu le courage de reprocher à l'Abbé Pierre de mal se fringuer, je n'aurais pas celui de saquer cet album par un 3 sur six, malgré ses navrantes fautes de goût esthétiques, facilement explicables (et aussi facilement pardonnables). Je n'ai jamais hésité à venir m'asseoir prêt du feu rassurant de Brendan Perry, ce crooner mystique à la voix-cathédrale. L'estime due aux forces de la nature, sans doute. Mais serré dans le costume quelque peu ingrat d'une version synthétique aux beats grossiers et aux reflets new age / future pop et parfois dangereusement lounge - pour ne pas être grossier et dire violemment "tendance Enigma, voire Buddha Bar" - de Dead Can Dance, ce monsieur n'est pas montré son plus beau jour. Pas moins de onze années séparent ce solo du précédent, et on constate qu'au lieu d'avoir été mûrie lentement, la musique est devenue moins exigeante. La faute peut être au matériel, si pas aux moyens humains, l'âme de vrais musiciens de chair et d'imperfections subtiles étant peu de choses face aux synthétiseurs et aux logiciels. Comme une prothèse remplaçant ce qui fût un membre vivant. Et par-delà la lumière de cette voix qui aveugle notre lucidité sur la vraie nature des instrumentaux offerts, on ne peut complètement oublier cette limite parfois ténue entre le vivant et l'artifice... Si les scintillements d'un "Bogus Man" émerveillent, et si les lamentations de Brendan sur "Wintersun" mettront toute homme doué d'ouïe et d'émotions à genoux, la version de "Crescent", outre la tentation de crier au fond de tiroir, est un bon exemple de cette nature plus artificielle : elle reste certes magnifique, mais comparer ce pur copier-coller enrichi de réverbe à la version ample et organique de Dead Can Dance révèle bien des choses. Cette nature "seconde main" de l'emballage musical en comparaison avec les offrandes du passé nous fait forcément poser cette douloureuse mais pertinente question : à quoi bon posséder cet album solo, quand on a déjà les meilleurs du groupe à Lisa ? Une question à laquelle je n'ai sincèrement pas eu le courage de répondre, préférant m'arrimer solidement à ma tendresse pour cette aura semi-divine, antique et intensément gothique. Même vêtu à la hâte, un Lord reste un Lord. Quand la voix de ce monsieur respectable résonne dans notre piaule, prenant le temps de respirer, de souffler ses vagues bienfaitrices sur nos âmes, dressée aussi monumentale qu'un séquoia millénaire traversé par les lueurs pâles de la Lune, les tracas du monde civilisé nous semblent bien petits... alors les histoires de chipotage sur la production, vous pensez bien... une peau de chagrin.