Stina Nordenstam › Memories of a color

S'il y en a dans l'assemblée qui lisent de temps à autres les chroniques dont j'affuble à intervalles plus ou moins réguliers le présent site, vous aurez peut-être noté qu'il y a peu, en parlant de l'album des islandais de Mùm, je citais Stina Nordenstam. C'était l'occasion rêvée pour me tendre moi-même la perche et vous livrer, sans plus attendre et pour votre plus grand (dé)plaisir, le compte rendu de la carrière discrète d'une autre grande dame de la chanson pop que l'on aurait tort de négliger. "Memories of a Color" est son premier manifeste, et il contient tout ce qui fait encore aujourd'hui le charme inaltérable de son univers : imaginez tout simplement une femme-enfant à la voix fluette vous raconter des histoires lugubres et/ou sordides, abordant une foule de thèmes divers, sur des arrangements lêchés au possible. C'est dans la culture de ce paradoxe que réside le pouvoir d'attraction intense de ce premier effort, pour lequel elle a été s'entourer de musiciens émérites de la scène jazz scandinave, conférant à l'ensemble cet aspect glacé propre à bon nombre de productions du grand nord, à commencer par celles de Jan Garbarek, même si, en dépit de la présence insistante d'un alto, on en reste assez éloigné. La sobriété avec laquelle la palette sonore est ici utilisée plonge la musique dans une esthétique parfois heavenly ("Another Story Girl"), mais il n'y a que Stina pour nous conter des récits faussement pervers comme "He Watches Her from Behind" ; tout un programme ! Quand, en bout de course, sur "A Walk in the Park", tout n'est que silence autour d'elle pour se concentrer uniquement sur sa voix (dédoublée afin d'en constituer à la fois la rythmique et les choeurs), l'auditeur se prend de plein fouet la noirceur qui jusqu'ici se camouflait derrière une apparente grande pudeur... Ce n'était qu'un leurre.