Compile indispensable du post-punk, par Soul Jazz, volume 2. Après In The Beginning There Was Rythm, ce Early, cette fois consacré au seul groupe A Certain Ratio, est tout aussi essentielle. Rarement un best of n’a été aussi complet, aussi dense en qualité et aussi riche en infos… Pour un groupe qui se révèle, avec le temps, comme l’un des tout meilleurs et plus originaux du genre, derrière son côté un peu "unidimensionnel" et obsédé par le rythme. C’est simple, je pourrais citer des titres plus dansants que d’autres, mais au final il n’y a pas un seul morceau moyen sur ces 2 cd’s. Du tube absolu qu’est Shack Up, pur funk rigide et mitraillette, aux nombreuses pistes malsaines annonçant la house et la techno la plus moite et insalubre (la majeure partie des 2 cd’s)… Il n’y a rien à jeter. Ce qui frappe, sur l’ensemble, c’est le niveau technique des zicos, clairement au dessus de la moyenne du post-punk… Mais ce qui les différencie le plus de leurs pairs, c’est ce batteur hallucinant. Personne ne jouait plus "serré" que lui en cette époque reculée, où les variantes "extrêmes" de toutes les sous-branches du rock restaient à faire pousser. James Chance et ses Contortions, à New York, savaient-ils qu’ils tenaient en A Certain Ratio de sérieux challenger pour leur no-wave stéroïdée ? D’ailleurs, selon moi, les Mancuniens mettent le fier-à-bras James Chance à l’amende, de par leur science de la polyrythmie anxiogène. Qui, depuis eux, a pu recréer quelque chose d’aussi vil dans genre que Blown Away, et ses nappes de voix spectrales sur tamis de percussions et de chants d’oiseaux tropicaux ? Les tentatives récentes du genre Skull Defekts semblent bien dérisoires, décidément, après ça… A Certain Ratio est plus à rapprocher de Shackleton. Blown Away est considéré par le groupe que la meilleure production que Martin Hannett leur ait offerte, et ils ne sont pas loin d’avoir raison. Le bougre avait retenu les leçons de Sly Stone période Fresh, et doté A Certain Ratio d’un son de basse et de grosse caisse turgescent, voire agressif, plus proche de ce que se ferait dans la techno que de la rondeur du disco. Avec une telle longueur d’avance, ils auraient pu concurrencer Cabaret Voltaire lors de leur passage aux synthétiseurs… Mais ça donnera surtout des titres ultra-kitsch à la Yello façon "coco-cocktail en costard jaune canari" (le pourtant excellent Life’s a Scream). Ça ne les empêchera pas de se faire repérer par certaines maisons de disques. Feuilleter l’abondant livret apprend que le groupe avait commencé à enregistrer un album avec Grace Jones, notamment une reprise de Houses In Motion des Talking Heads (!!), refusant finalement d’aller aux Compass Point Studios de Bahamas pour l’enregistrement définitif… On ne peut que baver en imaginant ce qui aurait pu advenir. Il y a aussi l’anecdote, plus connue, de Madonna qui a donné l’un de ses tout premiers concerts en 1ère partie d’ACR à New York (en vérité un showcase pour essayer de se faire signer sur une major, vu que la Madone a toujours fait du playback dansé), symbole du gros mélange issu de la tabula rasa (tabula rasta ?) de l’après-punk. Aucune contradiction, pour ces loustics, entre produire l’un des funk les plus dansants, jusqu’à l’épuisement, et distiller un malaise digne des bien moins funky Throbbing Gristle. Pas leur problème si mélanger les méthodes de de Wire, Cabaret Voltaire, Brian Eno (soit les parrains de l’expérimental dans l'Angleterre la plus blanche et industrielle qui soit) avec les percussions Cubaines et Brésiliennes découvertes dans les quartiers et clubs latino de New York sonnerait improbable 20 ans après ! Les deux étaient nouveaux, alors autant les mélanger… L’incroyable ouverture du groupe a bien sûr été facilitée par le fait que leur batteur, black, fut tombé dans le funk et le dub tout petit, et que leur guitariste avait grandi en Afrique du Sud. Au-delà de ça, ce Early est tellement fabuleux que l’étape suivante s’impose : se précipiter sur les albums, bien que de nombreux titres présents ici soient des singles et face-b. Un solide 5.