Didier Super › Vaut mieux en rire que s'en foutre II

Allier l'urgence et la vision acérée et provocatrice du punk avec le raffinement et l'élégance bourgeoise de la musique de chambre, c'est possible ? C'est possible. La grandeur d'une Nation se mesure à la richesse de l'Art qu'elle produit, et même des tréfonds des périodes les plus pauvres surgissent parfois au détour des ruines laissées par la Société du Spectacle un penseur qui révolutionnera les formes et formulera des questions inédites. Guy Debord n'est plus. Gilles Deleuze a fait le grand saut. Mais il nous reste Didier Super. Et Didier Super, il est bien. Didier Super ne construit pas des concepts, Didier Super reconstruit ses morceaux, ceux de sont premier album, déjà majeur mais trop lo-fi pour toucher les vrais gens, les bourgeois, ceux qui vivent dans de très grandes maisons avec des meubles pas à monter soi-même, comme dans les films de Marc Dorcel, et qui écoutent de la musique jolie avec des instruments qui ressemblent pas à des guitares et des musiciennes toujours jolies et bien alignées en rang d'oignons, ou en carré. Didier Super dit des choses, Didier Super à une vision, une vision juste, juste une vision. Didier Super chante pour nos vieux riches, auxquels Didier Super tend la main avec ce visuel très Deutsche Grammophon, une approche en douceur c'est le secret d'une enculade réussie, et vos compagnons le savent bien Messieurs les futurs mariés. Malgré une inadéquation intrinsèque au quatuor à cordes et aux instruments à vent (sauf ceux produits corporellement pour marquer les limites de son territoire), la voix du keupon subliminal Didier Super brave les soucis de mise en place et la nausée qui le prend à l'écoute de cette musique de classe opprimante, allant même jusqu'à rendre un hommage confraternel à ces laborieux travailleurs du Conservatoire que sont ses musiciens, en particulier sa flûtiste et sa violoniste dont la dextérité à manier respectivement le pipeau et l'archet lui inspire des remarques fleuries qui ne sont pas sans évoquer les plus belles pages de Jean-Marie Bigard. Le champ d'investigation de Didier Super est large : remise en question de la pertinence d'une religion organisée en clergé séculier, voire de la pertinence de la foi de façon plus globale, réflexion sociétale sur la paupérisation des masses laborieuse, mise en abîme de son statut de penseur starifié par la Société du Spectacle emplie de méta-commentaires sur sa propre démarche artistique. Didier Super philosophe, Didier Super pamphlétaire aussi, héritier des plus grands, Victor Hugo, Henry-David Thoreau, Damien Saez : rage jetée à la face de la bêtise humaine sans jamais verser dans la misanthropie ou une vision binaire du monde, "Y en a des biens" restera sa Grande Œuvre humaniste. Bien sûr tout n'est pas totalement exempt de critique dans ce recueil de textes fondateurs, on pourra trouver quelques facilité dans ses essais sur les relation hommes/animaux bien loin de la profondeur du "devenir animal" cher aux deleuziens, ainsi que des relents d'un utopisme un peu naïf qui émergeait aussi dans le pourtant très important "T'aime", pierre fondatrice du cinéma d'auteur Français des années 90. De plus certains spoken word inspirés par les grandes figures du genre, Lydia Lunch ou Grand Corps Malade, traitant de la condition féminine en particulier pointent une gêne problématique probablement due à trop de pudeur empêchant Didier Super de vraiment développer ici le fond de sa Pensée. Il faudra retenir cependant sur ce sujet son dernier texte, concis au point de tendre vers le haïku (ce que Didier Super réussira dans des travaux ultérieurs), "Majorette", condensé sexuel et social que ne renierait pas l'ethnologue de petite Province Jean-Pierre Pernaud. Pour conclure, je laisserai la place à Didier Super lui-même "C'est facile de se plaindre quand on sait qu'on est la majorité". Contre la pensée unique, consommez du Super.