Quelle vision tronquée du monde nous avions, nous qui avons été enfants et jeunes ados à l’époque du Rideau de Fer ! Nous nous en imaginions des choses, abreuvé(e)s par les images de files devant des magasins vides en Russie, les grèves de Solidarnosc en Pologne, les premières manifestations serbes, Tchernobyl en Ukraine… On ne parlait pas beaucoup de la Slovénie mais nous n’en avions cure, ils étaient tous dans le même panier. Comment imaginer que, oui, même si la vie n’était clairement pas facile dans le bloc de l’Est (surtout en Roumanie, en Albanie…), tous ses habitants n’étaient pas entièrement coupés du monde, n’étaient pas réduits au stade de survie, pouvaient même créer et s’élever contre le régime. Borghesia, comment aurais-je pu imaginer que ces gens-là avaient des synthés au début des 80’s et savaient s’en servir ? Dieu que mon inculture a été corrigée au gré d’organisations de concerts, de rencontres et de contacts via le net depuis. Alors que je remonte la discographie de Borghesia à niveau de mon porte-monnaie, je m’émerveille. Il n’y a rien de dépassé ni de vieillot dans cette musique de 1983. On l’aurait qualifiée de new wave alors vu que l’étiquette brassait large; en effet, on trouve des bribes industrielles, electro, cold wave même dans les compositions du groupe. Celui-ci affectionne les boîtes à rythmes qui claquent qu’il enrichit de percussions, de bruitages, de crissements, d’effets, d’accords de guitare bien sombres, avec quelques petites mélodies au synthé pour compléter. Avec la voix féminine grave, légèrement froide, on songe parfois à Kirlian Camera (‘On’, ‘Jaz (Pesem B)’, ‘Nočne Šetnje’…) en plus noir et agressif, l’élément hypnotique et répétitif évoquant même un peu de la démarche de Chris and Cosey version très obscur, Malaria ! même dans les hoquets les plus post punk. D’autres pièces plus rythmées dans une veine D.A.F. (‘Previše Tenzije’, ‘A.R.’), on devine l’évolution EBM/indus de la seconde partie des 80’s, sans oublier le post punk industriel en sous-main (l’excellent ‘Kdo Je Ugasnil Luč’ avec sa basse funk funèbre implacable et ses gémissements de guitare). Bref, avec la pochette ouvertement sexuelle, à l’image des deux premiers opus (hors de portée de ma bourse pour l’heure), la démarche contestataire de Borghesia est en place de manière mûre et maitrisée dans un mélange de genre parfaitement intégré, ultra efficace et dont on trouve pas mal d’échos dans des formations actuelles, Selofan en tête.