John Coltrane › Live in Japan

Alors comme ça vous trouviez "Giant Steps" trop gentil ? Quant à "Ascension", vous le considériez comme un must absolu ? Mais avez-vous seulement idée de l'expérience que procure ce "Live in Japan" ? Un coffret quatre disques pour acharnés, les vrais acharnés. Pas ceux qui se la pètent en trouvant que le free c'est cool parce que ça fait du bruit. Ce que l'on vous propose là c'est le système D, peut-être cher payé, mais qui épargnera en tout cas à qui le désire une visite toujours désagréable chez l'ORL. Quatre disques, quatre heures de musique d'une violence inouïe, un sommet inégalé et insurpassable dans le chef de Coltrane, où l'inaudible se confond parfois avec l'insupportable, et ce à plusieurs niveaux. La spiritualité du grand homme semble ici passer par tous les affres et tous les tourments les plus inavouables si bien que le supplice se mue en travail de démystification appliquée. En prolongement du "Live in Seattle", l'épique devient ici marathonien. Et les thèmes chéris d'autrefois, autant d'opportunités de se flageller en public dans un besoin morbide d'automutilation... Une heure de "Crescent" ! Presque autant pour "Leo". Une heure encore pour l'interprétation ultime de "My favorite Things", méconnaissable. Démonté. Remonté. Désordonné. Désarticulé. Décontenancé. Désespéré. Comme si toute la vie du saxophoniste repassait devant ses yeux à grande vitesse - pour lui, pas pour nous - sous forme d'un puzzle à la probabilité de résolution presque impossible. La vigueur et la sincérité qui animent cette rage transpirent l'amour pourtant. Mais finalement n'y a-t-il rien de plus blessant que l'amour ? "Live in Japan" est une épreuve que peu de gens prennent le risque de tenter, même parmi les plus aguerris à l'idiome free. Une expérience musicale par delà les limites humaines, mur du son de l'innommable, bad trip aux drogues dures procurant une overdose instantanée dont personne ne reviendra jamais. Monstrueux. Et extrêmement difficile.