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Luc Ferrari (1929-2005) › Presque rien

cd • 10 titres • 77:10 min

  • Music Promenade
  • 1sans-titre9:53
  • 2sans-titre10:36
  • Presque rien n°1, le lever du jour au bord de la mer
  • 3sans-titre6:50
  • 4sans-titre9:21
  • 5sans-titre4:32
  • Presque rien n°2, ainsi continue la nuit dans ma tête multiple
  • 6sans-titre12:06
  • 7sans-titre5:10
  • 8sans-titre4:13
  • Presque rien avec filles
  • 9sans-titre7:23
  • 10sans-titre6:31

informations

1969 (Music promenade), 1970 (Presque rien n°1), 1977 (Presque rien n°2), 1989 (Presque rien avec filles).

line up

Luc Ferrari (réalisation sonore).

chronique

Peut-on faire de la musique avec ce qui n'est PAS de la musique ? Beaucoup ont tenté d'apporter leur réponse à cette question. Personne ne l'avait fait de manière aussi radicale que Luc Ferrari avec cette oeuvre fondatrice que constitue "Presque rien n°1, le lever du jour au bord de la mer", datant de 1970. Il nous force avec cette pièce à remettre en question notre idée même de ce que le mot "musique" veut dire : agencement de sons mis en harmonie les uns avec les autres, espacés de manière réfléchie, notes, hauteurs, durées, sympathie de timbres... Même les électro-acousticiens réfléchissent avec ces concepts. Alors écouter "Presque rien n°1", c'est se demander, tout simplement, si le compositeur ne fait pas oeuvre de provocation en optant pour le partis-pris de NON-composition. Qu'entend-on de prime abord ? Presque rien : le clapotis de la mer, des moteurs de bateaux, quelques villageois, le chant des cigales de plus en plus envahissant. Luc Ferrari a mis un micro à sa fenêtre dans un petit village méditerranéen pendant 20 minutes. Point. Ce n'est même pas de la musique de bruit, de la "noise", car l'acte de composition est volontairement effacé, le rapport au "réel" total dans le choix des sons. De la non-musique, donc ? Et pourtant... c'est là que se révèle tout le génie du compositeur. Car la réalité sonore de ce village de pêcheurs à l'aube est en fait totalement recréée, condensée, quintessencialisée (ne cherchez pas ce mot dans le dictionnaire). C'est un réel idéal, une création/recréation, qui s'articule autour de détails imperceptibles : dans la succession ordonnée des sons, leur répétition, leur progression, un jeu de crescendos/decrescendos concrets. Oui, concret : c'est là que le mot prend tout son sens : ce minimalisme jusqu'au-boutiste, cette tapisserie sonore apparemment si plate... elle se différencie fondamentalement du reste en prenant appui sur une réalité vivante, vécue... ou plutôt en se fondant en elle. "Presque rien", c'est de l'ambient poussée à son plus haut degré de concrétion, de la musique figée sur bande mais on-ne-peut-plus vivante. Alors écoutez cette pièce, et avant de hurler au foutage de gueule, considérez, s'il-vous-plaît, qu'il s'agit d'un chef-d'oeuvre. "Presque rien n°2, ainsi continue (la nuit) dans ma tête multiple" est une entreprise un peu plus récente (1977) dans la même veine : "essayer de pénétrer un paysage". Paysage nocturne cette fois-ci, dans lequel le compositeur se balade avec un micro et enregistre au passage ses impressions en parlant. Oui, sa voix : c'est en quelque sorte le stade ultime du méta-langage appliqué à la musique concrète : le compositeur commente lui-même son oeuvre, à l'intérieur même de celle-ci. Mais encore une fois (et heureusement), il n'y a rien là de sec ou de théorique ; c'est sensuel, doux, intime, bruissant de vie. L'acte de composition se camoufle mais il est bel et bien là. A vous de vous y montrer sensible (ou pas). Au dernier tiers de la pièce, tout bascule dans une vision beaucoup plus hallucinée de la réalité, vue à travers le prisme d'une "tête déchirée", ce qui rend ce "Presque rien n°2" assez différent de son prédécesseur. "Presque rien avec filles" (1989) est une autre réussite : le sculptage électronique des sons d'une forêt (qui devient donc le lieu exclusif des phantasmes du compositeur), au milieu de laquelle finissent par être esquissés (mais avec quelle discrétion !) des extraits de confidences intimes de femmes (Ferrari les collectionne) coupées, et en plusieurs langues (oui, il s'agit de suggérer, on n'en comprend pas le sens littéral, autant que je vous prévienne). Le paysage sonore va en s'agitant, en se brouillant... Du coup, j'en oublierais presque de parler de "Music promenade" (1969), issue du procédé qui sera developpé dans le "Cycle des souvenirs" : 4 bandes de longueur différente, chacune contenant un répertoire de sons tirés d'un même environnement (militaire pour l'un, industriel pour un autre, folklorique...) sont lancées et tournent en boucle, créant ainsi une superposition, des harmonies sonores, chaque fois différentes. Un résultat intéressant quoique pas totalement abouti. Retenons surtout ces "Presque rien" : une leçon à méditer, un grand manifeste poétique (le titre seul est une profession de foi) mais conçu sans avoir l'air d'y toucher.

note       Publiée le samedi 17 septembre 2005

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    Alfred le Pingouin Envoyez un message privé àAlfred le Pingouin

    j'adore. C'est fragile, mais tellement construit à la fois...

    Note donnée au disque :       
    Cockrellus Wumbus Envoyez un message privé àCockrellus Wumbus

    Ça m'a tellement influençé musicalement, un classique !!! je peut l'écouter le nombre de fois que je veut et je vais toujours l'entendre d'une nouvelle façon, chaque sons es bien travailler avec précision, c'est génial !!!

    Note donnée au disque :       
    mangetout Envoyez un message privé àmangetout
    Ecouter Luc Ferrari, comme d'autres avant ou après lui (John Cage, Alvin Lucier, Morton Feldman...) est une expérience unique qui remet à plat toutes les questions tournant autour de la définition de l'idiome musical et personnellement il n'y réponds pas de façon définitive, mais son résultat par contre est une réponse claire à ceux qui sortent leur Technologie quand ils entendent le mot musique. Lui, avec son micro, son magnéto, ses ciseaux et son scotch, construisait à l'époque (1969-89) une cathédrale de sons édifiée au bruit dans sa plus belle acceptation.
    mangetout Envoyez un message privé àmangetout
    Voilà un intrus qui s'immiscerait dans une réunion sans avoir la moindre invitation à s'y rendre. A des années lumières des affrontements qui secouèrent la musique contemporaine ("Détruisons l'ancien monde tonal", "la tonalité n'est pas une fatalité" et finalement "revenons au langage tonal dans ce qu'il a de plus banal") Luc Ferrari pousse la définition de la musique dans ses derniers retranchements, se demandant, l'air désabusé, si ce n'est pas le magnétophone qui joue plutôt que l'homme ? Mais l'art de Ferrari est tellement immense qu'à l'endroit où en apparence il n'y a presque rien réside les plus fortes manipulations. Comme dans ce "Presque rien n°2" où l'on assiste au déroulement de la journée d'un village de pécheurs yougoslaves et tout ça en... 12 minutes. La reconstitution est telle, les manipulations tellement insidieuses que ce n'est plus ce village qui est mis en scène mais un autre, imaginaire, né de l'esprit d'un homme composant sa symphonie pour un village seul, avec son étagement chromatique, son scherzo, son allégro et autre adagio et quand ébloui par les images sonores on "voit" démarrer et se déplacer un camion, bruit sculpté dans une matière stéréophonique de toute beauté ou quand dans un final majestueux on admire les volutes polyphoniques générées par les boucles cycliques d'un ballet de cigales, on se dit que là on a touché de nos oreilles quelque chose d'unique.
    Arno Envoyez un message privé àArno
    Ca c'est de l'insulte bien frappée...