Guts Of Darkness

Ce n'est pas tout de faire de la musique ambient. Le procédé, à priori facile, en a tenté plus d'un. Mais il faut savoir rester pertinent face au silence. Il faut pouvoir également trouver les notes justes, celles qui sonnent et résonnent, celles qui vibrent et qui frappent, celles que l'on retient. Celles enfin qui marquent par la puissante émotion qui se dégage de mélodies simples et attachantes. Ce sont précisément toutes ces qualités qui font des disques de la série "Ambient" des monuments impérissables de beauté et d'introspection. Pour ce second volume, Brian Eno s'invite à l'enregistrement d'un album que l'on devrait en réalité attribuer à Harold Budd. Pourtant, il est bien difficile de cerner avec précision ce qui distingue les deux hommes tant l'atmosphère véhiculée ici s'approche de celle que l'on a pu trouver sur "Discreet Music" ou "Music for Films". Et comme pour ce dernier, "The Plateaux of Mirror" se moque des longs formats et concentre toute sa faculté à dépeindre des ambiances caressantes dans une série de piécettes de durée relativement commune. Harold Budd est au piano acoustique très souvent ("Not Yet Remembered"), au piano électrique de temps en temps, et Brian Eno de n'intervenir que par petites touches sporadiques, en injectant des effets par ci, en accentuant la réverbération par là ; de quoi faire de ce tableau en dix actes une oeuvre impressionniste inédite de William Turner. Pour apprécier à sa juste valeur les qualités cinématiques de l'oeuvre, faites l'expérience par vous-mêmes ; peu importe ce que vous faites, placez ce disque dans votre lecteur et laissez le tourner. Maintenez le à un volume raisonnable sans être assourdissant, puis oubliez-le et vaquez à vos occupations jusqu'à ignorer la musique qui s'échappe de vos enceintes. Maintenant, marquez un temps d'arrêt et demandez-vous un instant si cette musique ne vient pas, sans en avoir l'air, de transformer ce que vous venez de vivre en séquence extraite d'un film...