Keith Tippett Group › Your are here... I am there

Les grands moments abondent sur ce premier opus de Keith Tippett. A tel point d'ailleurs qu'on écarquille bien les yeux et qu'on redouble de vigileance, à l'écoute de la moindre petite faille, histoire d'invalider l'excellence qui pourtant illumine ce disque. Secondé par un trio de choc constitué de Mark Charig, Nick Evans et Elton Dean, "You Are Here... I Am There" est un superbe album de jazz moderne pour un groupe de musiciens qui, au départ, ne se prédestinait pas du tout à cela. Le groove de "Stately Dance for Miss Primm" fait resurgir de l'ombre les influences pop/rock auxquelles chaque musicien ici est attaché. "Thank You for the Smile" ne fait qu'en agrandir la portée avec un coda emprunté, il ne s'en cache pas, à "Hey Jude". Deux étapes, pas les plus marquantes, mais certainement les plus mémorables aux oreilles des profanes. "You Are Here... I Am There" croule sous les qualités. La plus significative à mes yeux est la brillante construction de l'album ; elle aborde avec tact et intelligence son propos, et enrobe sa démarche dans un esthétisme à la justesse exemplaire, faisant du disque un bloc compact, solide, insécable. Tippett prend le pari audacieux de débuter par ses pièces les plus ambitieuses ; "This Evening was like Last Year" instaure tout un climat par l'intermédiaire d'une longue complainte à la contrebasse, dévoilant au fur et à mesure de nombreux thèmes qui n'oublient jamais d'être dans le même temps chantants et avant-gardistes. "I Wish There was a Nowhere" déroule ensuite son tapis de velours, accueillant pour son défilé les chorus à la formidable épure des souffleurs attitrés du Soft Machine de "Fourth". Pour autant, la singularité de Keith Tippett ne s'illustre pas encore par le biais de son jeu versatile proche d'un Jaki Byard, comme l'atteste ses nombreux solo au classicisme finalement tout relatif. Il faut aller chercher son approche résolument post moderne dans ses arrangements inédits et surtout l'écriture, entre réalisation contemporaine et héritage post bop ("Violence"). La pièce la plus intrigante du lot étant peut-être "Three Minutes from an Afternoon in July", dont la trame s'articule autour de ce que l'on pourrait interpréter comme un appel à l'aide réitéré consécutivement par le saxophone, la contrebasse et le cornet. Un album tout simplement magnifique, mais dont les critères de perfection se verront décupler dès l'essai suivant.