Lutz Glandien › Lost in rooms (a virtualectric story)

Voici que nous arrive un projet bien inqualifiable, propre à la ligne de conduite que s’est dressée le label de Chris Cutler, Recommended. Lutz Glandien, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a déjà collaboré par le passé avec l’illustre batteur susnommé, mais c’est cette fois-ci seul qu’il conduit ce nouveau projet, "Lost in Rooms", sous-titré "A Virtualectric Story". Activiste de la musique avant-garde électronique depuis belle lurette, mais engagé plus précisément dans la recherche de musicalité dans le langage depuis maintenant dix ans, ce n’est qu’en 2001 que la compagnie de danse berlinoise Rubato lui a proposé de composer des musiques pour un de leur spectacle, en collaboration étroite avec leurs danseurs. Pendant le processus créatif, Glandien a demandé à chacun d’entre eux de réciter un texte de leur choix, dans leur propre langue. Il y a donc aussi bien de l’anglais que de l’allemand, du cantonais que de l’estonien. Et c’est ce matériau de base qui sert de charpente, vous l’aurez deviné, au présent disque. Bien que revendiquant un travail intensif sur les voix, celui-ci n’est pas aussi prépondérant que le descriptif aurait pu le laisser croire. Cette modulation des textures et des tonalités n’apparaît que dans des instants minutieusement choisis, transformant ce qui devait être au départ un texte récité en une somme d’éléments réduits à leur plus simple expression, se focalisant sur les interstices, les silences et/ou les respirations, comme on peut l’entendre sur "Four Bedrooms". Le découpage/montage de la voix, bien qu’intéressant, n’a pourtant rien d’exceptionnel dans le chef de ceux qui ont les trompes d’Eustache déjà bien lubrifiées par les aventures électroniques d’artistes electro ou techno à la pointe de la technologie actuelle. Il reste que musicalement Glandien se défend plutôt bien au laptop, construisant une musique électronique emballante à défaut d’être attrayante, pleine de non-dits et articulée autour de structures désincarnées. Paradoxalement, ces ambiances vaguement claustrophobiques, plutôt souterraines, assez menaçantes, voire même inquiétantes, nous renvoient plutôt à l’esprit le travail d’artistes n’évoluant pas nécessairement dans la sphère électronique, mais plutôt dans un contexte post industriel flirtant quand même, de temps à autres, avec le genre, à l’instar de Bryn Jones pour Muslimgauze, Mick Harris pour Scorn ou encore Boyd Rice pour Non. "Lost in Rooms" est un disque ne nécessitant aucun effort pour revendiquer sa modernité ; il a pour lui un grand nombre d’atouts susceptibles d’intéresser tous les vrais amateurs de musique électronique qui n’auraient jamais pu concevoir qu’un tel album puisse être publié sur un label à l’imagerie progressive - mais en l’occurrence faussement passéiste. Jamais agressif, le nouveau disque de Lutz Glandien a le mérite de gratter juste là où ça dérange pour susciter cette réaction à la fois saine et hygiénique que l’on appelle curiosité.