Encre › Flux

Depuis plus d’un demi-siècle, le dictat anglo-saxon incontestable sur la musique populaire a comme atrophié les formes d’expressions culturelles alentours. On pourrait résumer l’histoire de ces musiques à un triste marche ou crève, où la seule alternative était de se fondre dans l’idiome ambiant, quitte à en perdre toute trace de personnalité. Il n’y a pas chez moi le moindre soupçon de regret à ne plus entendre sur les ondes radio du Maurice Chevalier... Mais vous reconnaîtrez volontiers que depuis les golden sixties, se sont extraits de l’Hexagone que trop peu de fortes personnalités à l’univers singulier, qui idéalement aurait du ancrer leur répertoire dans ce qu’il leur reste de tradition. Inversement, quand il ne s’agissait pas tout simplement dans un premier temps d’adapter dans la langue de Molière des tubes chantés dans celle de Shakespeare, les premiers artistes français à se faire remarquer l’ont presque exclusivement fait en singeant les groupes et artistes anglais et américains. Et de nos jours, rien n’a fondamentalement changé dans ce domaine. Si l’Elvis français n’est pas encore mort, les groupes rock alentours, voire même rap, ne sont en définitive que de pâles ersatz de ce qui se fait de l’autre côté de l’Atlantique. Bien entendu, il y a toujours des exceptions. Et il semblerait que le projet de Yann TambourR, intitulé Encre, en fasse partie. C’est déjà son deuxième disque (peu nombreux sont ceux qui ont vu passer le premier), et c’est d’ores et déjà un prétendant sérieux à l’album le plus aventureux et le plus audacieux de l’année 2004. Tout en étant chaotique, la musique de "Flux" vogue entre musique électro-acoustique et un post rock qui n’en finit plus d’agoniser. En quelque sorte, l’approche de ce disque est similaire à celle du dernier Matthew Herbert ("Goodbye Swingtime"), exception faite que les sons utilisés ici ne sont pas traités pour rendre le discours plaisant, voire quelque peu nostalgique, mais justement, plutôt ouvertement post moderne et dérangeant. Les instruments acoustiques les plus divers passent à la moulinette et c’est à l’aide de samples de guitares, de violons et autres percussions que Tambour érige une musique angoissante aux contours flous délicieusement menaçants. En huit titres exploratoires, Encre varie les plaisirs et parsème sa feuille de textes récités au parfum parfois sauvagement érotique. Vous vous souvenez de l’unique disque de Zend Avesta ? L’atmosphère y est plus ou moins identique. "Flux" est néanmoins nettement plus oppressant. Musique de traverses par définition, Encre s’inscrit à la croisée des chemins entre rock, musique électronique, avant-garde et une certaine idée de la chanson française en quête d’identité. Espérons que le message d’Encre, jamais tâche, se répande au plus vite.