Lisa Gerrard › Immortal memory (avec Patrick Cassidy)

Celui-ci est austère. Voici une heure de lents mouvements de cordes... de virtuosité empêchée, de résolutions d'accords sans cesse ralenties, retardées, d'accomplissements harmoniques qui se découvrent, peu à peu, dans une blancheur instrumentale désincarnée et aveuglante. A la texture des voiles de cordes qui constituent l'acoustique diaphane et essentielle du recueil, Lisa Gerrard et Patrick Cassidy n'ajoutent à l'occasion que le grondement de tymbales lointaines, ou les saillies ténues d'un hautbois aiguisé qui s'élève pour surligner le galbe des lenteurs mélodiques. Dans ce désert immobile au silence écrasant se dressent en de rares endroits, là-bas en arrière plan comme masqué par le sable, des textures abyssales, voix mortes, claviers sinistres... mais voici bien une heure irradiée à l'extrême par la monochromie, la propreté sonore et la lenteur des choses. Allant jusqu'à taire son inégalable potentiel pour se mettre au service d'une volonté limpide, Lisa Gerrard use de sa voix avec la plus grande simplicité : une accompagnatrice, à la recherche manifeste d'une spiritualité plus intense, plus extatique qu'intellectuelle, dépouillée d'arabesque et d'extrême dynamique. L'oeuvre est ainsi contituée d'accords essentiellement apaisants, connus et confortables malgré leur gravité ; de "Elegy" à "Immortal memory", Gerrard et Cassidy travaillent la nostalgie contemplative, le souvenir d'un paysage et le temps arrêté, de "Paradise lost" à "Song of Amergin", la désolation muette et sans retour... immortal memories... chaque accord qui passe mérite qu'on le salue comme un ami qui s'en va, qu'on ne reverra plus. Les équilibres se font au fin fond des rencontres, on échappe de justesse au silence mortifère, lentement mené d'un bout à l'autre de la note, et déposé enfin, alors qu'on n'y croit plus, sur la suivante qui s'ouvre et nous masque l'abîme. Lisa gerrard s'est dépouillée de sa culture du monde, de sa technique vocale unique et de son sens des rythmes inquiets, en quête d'un absolu qu'elle ne juge sans doute pas compatible avec la générosité. Mais qu'elle le veuille ou non, elle vient encore de faire une magnifique offrande.