C'est encore ce Son Noir – ce Gris Profond, plutôt, moiré, stratifié – qui nous accueille, nous happe d'emblée. Mais la chose a encore muté – encore changé. Anarcha est une ouverture toute électro, toute techno. Beat et textures, nappes, striures de motifs comme émanées des hangars et clairières, des carrières et des sound-systems monumentaux d'une free-party des débuts du mouvements – quand c'était guérilla et tout autant foyer, village mouvant, nomade. Le rock, le metal, leurs genres et sous-genres étiquetées, leurs stars couronnées, sont toujours plus loin, plus extérieurs – si « indus » il y a, c'est parce que le paysage s'étend entre ces friches là. Les enceintes crachent une onde massive – une vie ample et drue. Pas de héros ou d'héroïnes, ici – le seul haut-fait est de se tenir dans cette existence, d'y tenir, accroché.e et pleine part.

Admist the Flames, May Our Organs Resound est empli, lesté – mais pas plombé – de cette puissance là, qui ne cherche pas à écraser, asservir, éblouir mais, je crois, dire et agir le plus directement possible, ne pas différer des remous et convictions qui l'agitent et l'ancrent, ancrent et agitent son autrice. La violence nécessaire de cette musique – contre les silences qui oacquiescent, trop, à tout, jour après jour, continue de s'incarner en formes qui n'en font pas de simples bouts d'oppression que l'on consommerait. Sa beauté rugueuse, même entamée, abîmée, sculptée par les chocs, demeure – Wounded Grace, dit un titre, mais ni cette plage-ci ni les autres ne tiennent d'un romantisme de la défaite, d'un masochisme d'esthètes où se cantonnerait, se confinerait une souffrance neutralisée.

Ce disque est empli de rythmes – massifs et détaillées, subtils par instants, déchirant quand elle les lâche à pleine force. Ce disque est plein de cris, hurlements, presque-growls et déclamations. Une rage, des peurs, la colère et l'amour – de l'existence physique, de l'esprit qui persiste – y éclatent et y grondent en périodes brèves et longues. Tout s'incarne et tout se projette – nul Drame qui mettrait tout ceci à distance. Tout est tendre ou furieux, douloureux, extatique – mais on le répète, rien ne s'étale pour faire passer l'impassable, avaler quelque pilule que ce soit. L'orgue sur la pochette est une machine – ses tuyaux, nous dit le titre, doivent continuer de sonner parmi l'incendie, les flammes. Cette machine est habitée. Elle doit filer à travers les déserts. Elle s'arrêtera dans les villes ou d'autres oasis, points de rechargement et de déchargement. Elle embarquera, émargera les charges mortes et les fugitives, fugitifs, clandestin.es en transit, en partance ou en retour. Elle se construit dans les Communes et sillonne la grande solitude. Et puis l'inverse, sans doute aussi. Elle laisse des traces, des idées, des odeurs et autres sensations – c'est un échange, pas un troc, pas un commerce. Elle repart des lieux adverses avec ce qu'on y a pillé.

Puissent ses voix résonner dans vos jours, dans nos heures, parmi nos ami.es, nos aimé.es, encontre ce qui nous empêche, voudrait nous effacer. Puisse cet instrument faire encore d'autres cycles et brisées, de toutes ses pièces et tout son souffle.